Dorothée Selz
Offrande surprise et oeuvres de la collection du Frac Limousin
C’est par l’entremise de Joan Rabascall et de sa rétrospective au MACBA de Barcelone pendant l’hiver 2009-2010 que je fis la connaissance de Dorothée Selz. Je connaissais les grands traits de son parcours, depuis sa première participation à l’exposition itinérante «Science-fiction» en 1969 (organisée par H. Szeemann), les rituels et autres «happenings» qu’elle organisa au début des années 1970 avec le groupe des «traiteurs-coloristes» Miralda, Rabascall, Xiffra, (Fête en noir en 1970, Fête en blanc en 1971,…) avant de rencontrer Daniel Spoerri et d’exposer dans le «Restaurant Spoerri» à Düsseldorf, et aussi cette exposition qu’elle organisa en 1978 au Musée des Arts Décoratifs de Paris, «Sucre d’art», où elle mélangeait objets d’art populaire provenant des collections de son père et de celles de Spoerri, et chefs d’œuvres de pâtisserie.
Pour Dorothée Selz, l’art est une nourriture, autant matérielle que spirituelle. Ses «sculptures éphémères comestibles» se dégustent autant avec les yeux qu’avec le nez et les papilles et c’est avec bonheur que nous imaginons l’offrande-surprise qu’elle va réaliser pour sceller la collaboration entre le Frac Limousin et le Théâtre de l’Union, en lien avec le Lycée Jean Monet, que le public gardera précieusement en mémoire.
Dans la galerie d’exposition, nous présentons pour la première fois une ensemble de six œuvres de l’artiste récemment acquis pour notre collection qui constitue un panorama unique et particulièrement représentatif d’un parcours de près de trente années de création.
Mimétisme relatif – Mariée (1974) est un prolongement de l’activité de rituels du début des années 1970. Un diptyque photographique où l’artiste juxtapose deux images, celle d’une mariée extraite d’un calendrier, et celle, retouchée à l’encre de chine, de l’artiste nue dans une pose proche. Elle précise que cette œuvre veut «souligner l’ambiguité du désir de ressembler au modèle et du ridicule de le faire». Les deux cadres sont abondamment recouverts d’un mélange de colle et de ciment coloré appliqué à la douille de pâtisserie.
Montagne de cendre avec cabine téléphonique (1980) constitue un des rares «paysages en relief» que l’artiste réalisa entre 1979 et 1985. Exploitant de manière plus ample l’usage de ce mélange colle/ciment coloré, elle façonne ici avec beaucoup de précision un paysage désolé dans des tons de gris auquel elle donne l’échelle par la présence d’une minuscule cabine rouge (anglaise) de téléphone. Notons que comme Spoerri, l’inventeur du «tableau-piège», elle fait basculer le paysage à la verticale sur le mur pour nous en donner une vue du dessus.
Batman et Spoutnik font partie de la série Science-Fiction (1997-1999). L’artiste se sert d’images imprimées anciennes, destinées à disparaître, comme support, les surcharge et les prolonge de traits de ciments colorés. Par cette opération, elle les recharge en énergie et rend hommage aux illustrateurs qui les réalisèrent à la fin des années 1950.
Cahier d’écolier de Dorothée Selz fait partie d’une série réalisée entre 1997 et 2001, qui reprend un principe équivalent appliqué aux dessins que Dorothée réalisa enfant, entre 1950 et 1955. Ici, le dessin est marouflé au centre d’un support recouvert de ciment clair où elle prolonge à gauche et à droite la page d’écriture maladroite et laborieuse, lui donnant un nouvel écho.
Table d’offrandes (2003) est un tableau photographique de grand format qui fait partie de la série Hommage à l’art populaire (2002-2006). La photographie d’un minuscule objet trouvé à Guanajouato (Mexique) en 1978 est agrandie sur toile, tendue sur un châssis et retouchée au ciment coloré. L’objet d’origine, une table d’offrande de 10 cm pour un enfant décédé dressée de vases et d’aliments en sucre coloré, prend une dimension monumentale, aussi bien spatiale que temporelle.
Comme le précise l’artiste et écrivain Pierre Tilman en conclusion d’un article paru en 2003, «les objets de l’art populaire sont voués à disparaître et à ne pas être considérés. C’est leur destin et leur fonction et il n’y a, à cet égard, aucune nostalgie dans les tableaux de cette artiste. Il ne s’agit pas d’une sauvegarde, mais plutôt d’un relais: le prolongement des choses, de l’élan, de l’invention que le créateur anonyme a mis dans l’objet… Dans sa peinture, elle joue aussi le rôle de passeur. Et si les traits colorés qu’elle trace étaient des liens tissés? Des fils tendus?». (Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin)
vernissage: mercredi 13 octobre 2010 à 18h30: venez déguster les sculptures éphémères comestibles de Dorothée Selz! Cette offrande surprise sera réalisée spécialement pour cette soirée, en collaboration avec les élèves du Lycée Jean Monnet, dans le cadre du partenariat Théâtre de l’Union / Frac Limousin.