Damien Cabanes
Oeuvres récentes
Les sculptures de Damien Cabanes sont «intègres» au sens étymologique du terme, autrement dit «entières», et c’est peut-être là ce qui fonde leur originalité : à défaut d’être visible (et comment pourrait-elle l’être ?), la chronologie de la réalisation nous est livrée, et l’observateur apprend à penser l’intérieur de la sculpture. La sculpture n’est donc pas que l’œuvre, elle est aussi trace de la conception.
Plus qu’à la création d’une sculpture, autrement dit d’une entité formelle, c’est donc à la constitution d’un être que s’assimile la démarche de Cabanes. Il rejoint ainsi, par sa technique, les grands mythes de l’être d’argile et de son démiurge : l’Adam biblique, le Golem hébraïque.
L’univers de ses précédentes sculptures était gai, ludique, et paraissait insouciant. Nous pénétrons ici dans un univers teinté de gravité. Un monde qui ne semble éclore que sur lui-même, et ne dialoguer qu’avec lui-même, un monde qui semble nous échapper. (Il dit : «ce ne sont pas les sentiments du modèle que j’exprime, mais les miens» ; ou encore : «je viens de l’abstraction, l’aspect littéraire et sentimental ne m’intéresse pas»).
Pourquoi : les sculptures sont hiératiques et solennelles. Parallèlement, les visages sont inexpressifs. Le travail des visages contraste avec la masse compacte des corps (le cou rentre dans les épaules, les hanches ne sont pas marquées, les chevilles ou les poignets sont inexistants, etc.). Les regards sont fixes et opaques, à l’instar de ceux des sculptures primitives. Si l’attention de DC se porte principalement sur la figure, l’individualité de cette dernière est paradoxalement niée : les caractéristiques du modelé prédominent sur les traits du visage, lequel s’efface sous les doigts du sculpteur pour ne plus être qu’un masque de terre brute, disproportionné par rapport au reste de la sculpture. C’est donc ici le triomphe de la matière sur la forme, une matière émancipée de la simple mimésis.
Par ailleurs, avec des titres tels que «Araba assise», «Araba debout», Cabanes nous cantonne à la surface du visible : on ne pénètre pas la psychologie de ces corps qui ne semblent jamais pensants (d’où leur opacité), mais présents (hic et nunc). Corps-troncs qui semblent émergés du sol : la base est souvent extrêmement large. Les corps que crée Cabanes basculent dans la neutralité. Sans grâce et sans âge, ils ne sont pas sexués.