Carolee Schneemann
Oeuvres d’histoire
Éclaireuse d’une première génération revendicatrice pour l’art des femmes, Carolee Schneemann fut une pionnière de la performance, du cinéma et de la vidéo. Elle a également été le témoin attentif des conflits de son époque, ce dont son œuvre n’a cessé de rendre compte. Alors que ses recherches sur le corps et la place sociale de la femme sont bien connues, cette exposition sera la première à explorer cette réactivité constante de l’artiste américaine face à l’Histoire en train de s’écrire, depuis le libératoire Meat Joy (1964), en passant par ses créations en opposition à la guerre du Vietnam dans les années 1960, à la guerre du Liban dans les années 1980, jusqu’à ses travaux les plus récents, comme Terminal Velocity en réaction aux attentats du 11 septembre 2001.
Cette première rétrospective de l’artiste dans un musée français comprend une trentaine d’œuvres, dont plusieurs présentées pour la première fois en Europe. Leur diversité —film, vidéo de performance, dessin, collage, peinture, photographie, installation— souligne combien Carolee Schneemann a répondu de manière inédite au défi de l’actualité, de l’engagement et du renouvellement de l’œuvre d’histoire.
Artiste majeure de l’art américain et international, Carolee Schneemann a pris part dès le tournant des années 1960 à l’effervescente scène artistique new-yorkaise. Ses peintures-constructions s’inscrivent alors dans la mouvance néo-dadaïste. Elle participe aux happenings de Claes Oldenburg ou encore à Site de Rober Morris, côtoie Yvonne Rainer et les membres du Judson Dance Theater et du Living Theater. Très vite, elle fait le choix de l’action. En 1963, elle réalise Eye Body: 36 Transformative Actions, où elle guide l’artiste Erró la photographiant dans son atelier, et développe l’idée d’un théâtre en mouvement, le «Kinetic Theater», qui mêle performance, danse, arts plastiques et sculpture, lumière et bientôt films.
En 1964, sa performance de groupe Meat Joy est jouée à l’American Center à Paris lors du Festival de la Libre Expression organisé par Jean-Jacques Lebel, puis à la Judson Church à New York. Cette mise en scène orgiaque et dionysiaque où des performeurs dénudés dansent avec des objets, de la peinture mais aussi des poulets ou des poissons, est, au-delà du choc, un moment crucial pour le body art et la libération du corps et des mœurs.
Carolee Schneemann choisit très tôt l’activisme et le pacifisme. En 1965, elle réalise le film-collage Viet Flakes dans lequel elle s’approprie et détourne des images de la guerre du Vietnam sur un fond sonore composé par James Tenney à partir de musiques pop, classiques et vietnamiennes. Deux ans plus tard, la projection de ce film est au cœur de la performance Snows (1967) présentée lors de la Angry Arts Week: Artists against the Vietnam War à New York. Snows, puis Night Crawlers en marge de l’Exposition Universelle de Montréal Expo 67, marquent la réussite engagée des expériences de «théâtre cinétique» ou encore d’«expanded cinema», c’est-à -dire d’extension dans l’espace des pratiques du collage ou encore du cinéma. L’exposition met ainsi en rapport le film de la performance et les collages de Meat Joy et présente simultanément les films Viet flakes et Snows accompagnés de dessins et de photographies. Cette diversité plastique est une constante de la démarche de Carolee Schneemann. Ses créations en réaction à la Guerre du Liban et ses recherches sur l’histoire de la région au début des années 1980 aboutissent à une sculpture en mouvement, des vidéos, un livre d’artiste ainsi qu’aux étonnantes Dust Paintings, abstractions épaisses qui entremêlent des cendres à des composants d’ordinateurs comme les vestiges d’une civilisation.
Réalisée en 2001 et acquise par le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart en 2012, l’œuvre Terminal Velocity, étonnant montage photographique monumental, résonne comme une nouvelle forme de peinture d’histoire. Sur sept colonnes, Carolee Schneemann y redonne une dimension humaine et individuelle à un fait historique en zoomant sur les hommes saisis dans leur chute du haut des tours du World Trade Center pendant l’attentat du 11 septembre 2001.
Cette œuvre remet également en perspective la diffusion médiatique des images d’actualité. Cette question du flot des images est au cœur du travail récent de l’artiste, comme ses gravures réalisées à partir de collages numériques, ou ses installations vidéographiques, à l’instar de More Wrong Things (2001) ou Precarious (2009), toutes deux recréées pour l’exposition au dernier étage du château, et dans lesquelles le visiteur se retrouve immergé dans le flux des projections et de leurs miroitements.
Carolee Schneemann est née en 1939 en Pennsylvanie, USA et vit et travaille à New Paltz (New York). Ses œuvres sont conservées dans de nombreuses collections internationales (MOMA, New York; Musée national d’art moderne/Centre Georges Pompidou, Paris; Tate Gallery, Londres; Mumok, Vienne, etc.).