LIVRES

Å’uvres

Déclinaison de la première phrase : « Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées. » En 533 énoncés, l’artiste note ses rêves et projets : humour, surréalisme, incongruité règnent en maître.

— Éditeur(s) : P.O.L., Paris
— Année : 2002
— Format : 20,50 x 14 cm
— Illustrations : aucune
— Page(s) : 205
— Langue(s) : français
— ISBN : 2-86744-910-3
— Prix : 17 €

Å’uvres (extraits)
par Édouard Levé

1. Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées.

2. Le monde est dessiné de mémoire. Des pays manquent, des frontières changent.

3. La tête de Proust est dessinée sur une page d’À la recherche du temps perdu. Les mots que rayent le contour de son visage forment une phrase grammaticalement correcte.

4. Des mannequins en aluminium de la taille d’un homme sont lâchés de différentes hauteurs d’une grue. Métamorphosés par les plis, ils adoptent la pose à laquelle leur nouvelle morphologie les contraint.

5. Une exposition présente des pièces dissemblables par l’esprit, le style, la technique, mais dont l’origine est commune : leur auteur les a vues en rêve.

6. De petites boîtes d’entomologie contiennent le carton d’invitation à une exposition qui n’a pas eu lieu. Sous le carton est écrite la raison de l’annulation. Les boîtes sont accrochées au mur comme une collection d’insectes.

7. La voix d’une femme décrit les formes qu’elle voit apparaître dans la neige de l’écran télévisuel après la fin des émissions. Formes géométriques, tourbillons, spectres. La vidéo est diffusée sur un moniteur posé sur une table basse installée au pied d’un divan. Le visiteur s’allonge, et compare ce qu’il voit à ce qu’il entend.

8.Musée des inconnus. Au lieu des habituelles célébrités, un musée de personnages en cire présente des inconnus. Choisis au hasard dans l’annuaire les modèles ne sont représentatifs ni d’une époque, ni d’une région, ni d’une profession. À l’inauguration, le musée montre trente statues. Deux nouveaux modèles viennent s’ajouter chaque année à la collection : au fil des ans se constitue une mémoire évolutive, sculpturale et hyperréaliste de la société.

9. Chaque année, au mois de janvier, une peinture est réalisée de mémoire d’après la même photographie, qui représente une place de Bangkok à une heure d’affluence. Ni l’image modèle ni les peintures précédentes ne sont regardées. Au bout de dix ans, les peintures sont révélées, et exposées côte à côte.

10. Une scène de film est montrée à l’envers aux acteurs qui l’ont interprétée pour qu’ils apprennent à la jouer à rebours. Lorsqu’ils y parviennent, ils sont à nouveau filmés. Projetée à son tour en arrière, la nouvelle scène devient étrange : l’envers inversé n’est pas l’endroit.

11. L’ami d’un artiste choisit des descriptifs d’œuvres dans des comptes rendus d’expositions publiés dans la presse. La photographie qui accompagne l’article est découpée et le texte lui est envoyé pour qu’il dessine l’œuvre d’après sa seule description. L’œuvre finale est un triptyque composé du dessin, du descriptif de l’œuvre et de la photographie qui accompagnait l’article. Il y a quatre auteurs, directs ou indirects, volontaires ou non : l’artiste qui a réalisé l’œuvre de référence, le rédacteur de l’article, l’ami qui a choisi, et l’artiste qui a dessiné.

12. Une scène se reflète dans la rétine d’un œil. Photographie.

13. Une sculpture représente un homme dont les extrémités, au lieu de saillir, rentrent à l’intérieur du corps. La tête, les mains, les pieds et le sexe sont en creux. L’homme est assis par terre, jambes écartées et bras en croix. Marbre.

14. Le sol d’une cage est jonché de pages de l’Ancien Testament. Durant un mois, les mots sur lesquels se pose l’oiseau-mouche qui y vit sont notés. Un texte est écrit avec ces seuls mots.

15. Un blouson en vache folle.

(Texte publié avec l’aimable autorisation d’Édouard Levé et des éditions P.O.L.)

L’auteur
Édouard Levé est né en 1965 à Paris où il vit et travaille.

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