Jürgen Klauke
Oblick. Äestetische paranoïa
Dans le monde de l’art contemporain, Jürgen Klauke tient une place à part. Avant-gardiste ayant très tôt placé son propre corps au cœur de son travail photographique et vidéo, il poursuit depuis Cologne une œuvre sortant tout droit de son studio. Adepte du grand format et de l’autoportrait, il n’a de cesse depuis les années 1970 de questionner le genre, la sexualité, de jouer des codes de la communication afin de développer une recherche esthétique radicale faite d’images provocantes gorgées de références et de symboliques. À l’instar de Cindy Sherman ou de Bruce Nauman, ses représentations de troubles individuels se doublent d’une dénonciation des mécanismes sociétaux les provoquant.
Avec ses photos étirant des solitudes sombres et troublantes, il nous donne, dans la série Äesthetische Paranoïa, tout autant à voir une esthétique de la paranoïa que des perceptions paranoïaques. La filiation avec un surréalisme angoissant et halluciné, dont il partage un goût immodéré pour le noir et blanc, attire autant qu’elle effraie. Jürgen Klauke ne fait aucun compromis, se joue des modes comme des courants en esthète entêté creusant chacun des thèmes qui le meuvent, jusqu’à en assécher la sève créatrice.
S’il se met en scène constamment, aucune de ses photographies ne constitue un réel portrait de l’artiste qui, sans cesse, nous échappe. Il n’est qu’un modèle, propre à jouer le rôle dévolu qu’il s’assigne: représenter la complexité et les failles de ses contemporains, grossir jusqu’au grotesque une société pourvoyeuse de troubles, esquisser les déviances refoulées et la vacuité de l’existence grâce à la multiplication d’images se répondant en série.
Tel un peintre du quotidien, il offre — en un miroir déformé de celui qui le contemple — un portrait désespéré mais non moins ironique, porté aux nues par un savoir-faire précis et subtile.
Dans ses œuvres, rien n’est jamais laissé au hasard, il maîtrise tout, tel un Deus ex machina omniscient, révélateur de l’état de l’homme. Avec la série Wackelkontakt, réalisée elle aussi entre 2003 et 2006, se dévoilent des préoccupations sur le lien homme-machine. Contempteur avisé de la mutation technologique à l’œuvre, il saisit, dans une esthétique à la plasticité fascinante, non seulement son foisonnement panique mais aussi la dimension envahissante et incontrôlable en dévoilant de futures hybridations que ne renieraient pas le mouvement cyberpunk.
L’exposition est présentée dans le cadre du festival Oblick — dialogues de la photographie contemporaine.