Tony Carter construit des sculptures insolites, fruit d’assemblages d’objets variés tant par leur provenance que par leur matériau. Verre, aluminium, bronze, fer, mais aussi shakers ou serre-joints sont mis à contribution dans son œuvre. Eloigné des assemblages formellement chaotiques des artistes tels Arman ou César, c’est avec un grand soin et une précision quasi chirurgicale qu’il fait se fondre une multitude de formes en une seule. Même si elles se composent d’objets dissemblables, ses œuvres, transfigurant leur provenance, forment une unité parfaite.
Deep Green se compose d’une tablette murale noire au centre de laquelle semble vouloir émerger le dessous d’une bouteille de champagne, comme plantée dans la table de façon à pouvoir y germer et s’en extraire. Manière de mettre le haut en bas, et inversement, cette pièce introduit bien à l’œuvre de Tony Carter. Entre sculpture et design, elle nous retient aussi par son humour fin sans grandiloquence. La bouteille à l’envers contraste avec l’austérité minimale de la tablette. Ce n’est plus une bouteille de délicieux breuvage mais un point d’exclamation qui bondit de la surface sobre de la table. Staff, sorte de bâton de pèlerin surmonté d’un sceptre réalisé en matériaux de plomberie, joue les trouble-fête d’un culte improbable. De la même manière, Créatures of Earth (Créatures de la Terre) superposant les formes simples crée la troublante sensation de nous trouver devant un objet autonome dont nous cherchons inlassablement l’utilité. Cette œuvre met aussi en place une subtile dialectique (dur-mou, brillant-mat, etc.) entre les propriétés plastiques des différents matériaux mobilisés dans l’œuvre.
Si nombre de sculptures de Tony Carter ont en commun d’être des contenants, ce n’est pas une coïncidence. Du sceau en plastique au shaker en argent, en passant par les tuyaux de plomberie, tout fait office de lien vital entre deux états. Un tuyau sert à transporter de l’eau, du gaz ou du pétrole mais peut aussi servir de flûte : c’est la fusion des genres que tente l’artiste. Dans Margarita, une boule énigmatique s’échappe d’un shaker (ustensile par lequel le barman mélange les ingrédients d’un cocktail). C’est évidemment la symbolique liée à ces objets qui est ici mise en évidence. Mélanger du liquide pour en faire surgir du solide (une boule qui pourrait être aussi bien un atome que la Terre), c’est une manière poétique d’affirmer que l’art ne peut s’enrichir que par sa proximité au monde.
Qu’en est-il de ces objets dont l’assemblage contre nature et l’élévation au rang d’œuvres d’art abolissent leur fonction première ? Carter choisit et assemble les objets en fonction des chocs sémantiques qu’ils vont produire, mais aussi d’une recherche d’harmonie plastique. Le noir de la table associé au brillant du culot de la bouteille de champagne, le shaker argenté sur fond d’aluminium, les tuyaux de différentes qualités mis bout à bout sont autant de combinaisons plastiques. Plus que les usages des objets, c’est leur contenu sémantique que l’artiste travaille. Jeux entre contenus et contenants, mais aussi entre art et design, entre ce que nous pensons savoir des objets et ce que révèlent leurs associations, voilà autant de territoires qu’explore l’œuvre de Tony Carter.
Tony Carter :
— Lightning (Eclair), 1999. Bronze, fil métallique, plâtre.
— Margarita, 1999-2000. Aluminium, shaker argent, laiton, médium, crochet acier.
— Faces of the Moon (Facettes de la Lune), 2001.Bois, plâtre, acier.
— Knot (Nœud), 1999. Fer, bronze, serre joint acier, fil d’acier.
— Créatures of Earth (Créatures de la Terre), 2001. Pierre, caoutchouc, médium.
— Midnight Train (Train de minuit), 2001. Fonte de fer, verre, crochets acier.
— The hand that signed … , 1999. Plastique, acier.
— The Studio. Hommage à Georges Braque, 2001. Bois plâtre, plastique, aluminium.
— Deep Green (Vert profond), 2001. Verre acrylique, bois, médium, verre de bouteille.
— Staff (Crosse), 2001. Bois acier inoxydable, bronze.