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Nuées

La danse révélerait les dimensions cachées de l’espace écrivait Rudolf Laban dans Espace dynamique. Cela est particulièrement vrai de celle d’Hervé Diasnas telle qu’elle nous est offerte dans Nuées. Par la dimension aérienne, la scène devient un volume dans lequel les six danseurs et les deux comédiens manipulateurs évoluent entre ciel et terre ou, mieux, comme dans un vaste aquarium.

Car la qualité de l’eau le dispute à celle de l’air dans cette pièce «aéroterrestre» faite de contrastes doux: horizontalité des corps au sol ou suspendus, et verticalité des corps debout; le sol support de marche mais aussi prétexte à une nage surréaliste, voire à un envol sans décollage, par simple traction horizontale; séquences de groupe entre sol et air, et succession d’impromptus en soli décalés qui semblent tout droits sortis de chorégraphies déjantées de la sud-africaine Robin Orlin, la retenue en plus.
Signe de cet «entre eau et air»: les séquence de «vol dansé» — qui sont une signature d’Hervé Diasnas —, déplacements debout faits de changements de tempi et d’alternances de regroupements et de dispersion, rappelant les vols des oiseaux en groupe, ou les infinies variations des bancs de poissons sous les mers et océans. La danse révèle alors ces dimensions cachées de l’espace: le rythme, les qualités des formes, sa musicalité et son organicité.

Nuées — monde de l’éparpillement des choses en suspension — est le vrai et seul sujet de cette cinquième pièce qu’Hérvé Diasnas a conçue avec la compagnie Motus Modules et ses comédiens manipulateurs, qui permettent aux danseurs d’intégrer la dimension aérienne. Mais ici rien à voir, ou presque, avec les corps lisses, plastifiés et quasi-lyophilisés de Momix — les envols ne sont pas d’esthétiques traits anonymes dessinés dans les airs. Et pour éviter la mollesse et l’excès de rondeurs, les corps tenus et les formes générées privilégient la linéarité. Aérien rime ici avec vraie dynamique — à la dynamique de l’espace répond celle du geste.

La dimension aéroterrestre crée une urgence dans le travail: saisir comment faire avec cette contrainte, comprendre comment cela marche, développer ses propres outils pour intégrer cette dimension. Cela met un rapport nouveau à la matière gestuelle et à l’appréhension de l’espace, rapport nouveau qui implique l’authenticité et la singularité de l’artiste.
Le chorégraphe ne règle pas le geste laissé à la liberté de l’interprète. Il organise les déplacements au sein de la recherche d’une virginité dans laquelle chaque danseur est amené à résoudre la question du «comment cela se passe?» Question qui l’amène à un acte de créativité, qui le pousse à une sincérité, à une authenticité.
Au chorégraphe la tâche de résoudre la question de «comment ces gens-là peuvent-ils communiquer?» Il règle une conversation, un «versé vers» (converser) entre personnes en situation de gravité et d’autres en situation d’apesanteur, toutes bien individualisées et personnalisées. Avec le désir de privilégier les relations, la poésie et la beauté, d’ouvrir l’imagination.

La musique, en partie conçue par Diasnas, qui est aussi l’un des interprètes de sa pièce est mixée en direct: autant que les séquences dansées, elle est réglée à l’avance mais prend vie à l’instant même où elle est partagée au public. Elle est l’un des éléments d’une dramaturgie simple et abstraite, musique amie des lumières qui accompagnent et encadrent la danse et permettent, par exemple, de faire ressortir une fragile «fleur de mains», aux dimensions changeantes et au rythme qui ferait penser à la respiration primaire de nos organismes ¬— rythme de nos eaux intérieures.

De l’eau à l’air, se dégage une qualité de légèreté et une densité des corps, du mouvement et des éléments mis en scène — jusqu’aux ballons gonflés d’hélium mais lestés pour être métamorphosés en arbres improbables ou en fleurs inattendues. Inattendu: après un quart de siècle de recherches chorégraphiques, Hérvé Diasnas et ses interprètes conservent une capacité de renouvellement respirant la jeunesse. À nouveau, ils nous donnent de partager ce que Gaston Bachelard a appelé de manière inspirée une Poétique de l’espace. Poétique dont nous ne nous lassons pas.

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