PHOTO | CRITIQUE

Nouvelles Å’uvres

PPierre-Évariste Douaire
@10 Déc 2008

Une meneuse de revue avec ses six tenues, trois magiciens battant des cartes et cinq bouquets de fleurs sont les nouvelles photographies de Valérie Belin. Balayées par une mer d’encre, ces grands tirages, à la qualité irréprochable, interrogent une nouvelle fois les apparences et l’identité, des thèmes chers à l’artiste.

Valérie Belin change de galerie mais ne change pas sa façon de procéder. Trois séries en noir et blanc viennent rejouer son questionnement sur l’identité.
Qu’il s’agisse d’un magicien, d’une danseuse du Lido ou de compositions florales, elle revient toujours à la charge. Elle tapisse ses nouvelles sources d’inspiration de ses anciennes lubies. Le vrai et le faux sont convoqués et jouent des coudes. Une partie en trompe l’œil se déroule sous nos yeux égarés mais sollicités.

A la clef il y a toujours une question. Les modèles sont-ils des mannequins de cire, des pantins de bois? Sont-ils habillés de chair ou de lumière? Il faut s’arrêter, prendre son temps, demander des explications.
A l’affût des limites mais surtout soucieuse de les transgresser, la photographe mêle l’entre-deux, la copie et son double, le naturel et l’artificiel, le rimmel et le remake. La base angulaire du travail reste la même. L’identité et l’apparence, le corps et le masque, sont des jeux de rôle qui façonnent un modèle trans-genre.

Avec la danseuse du Lido, ce sont les strass et les paillettes qui sont convoqués. Par six fois, la même jeune femme, maquillée comme une meneuse de revue, changera successivement de costume mais pas d’attitude. Ces habitudes vestimentaires, qu’elle change en fonction des tableaux, la corsètent dans un stéréotype.
Prisonnière des feux de la rampe, elle agit derrière les barreaux que dessine le crayon noir qui cerne son regard. En forçat de la danse, elle se fige dans une pose irréelle et artificielle. Pétrifiée, statufiée, elle ressemble à ces vedettes d’avant guerre du studio Harcourt.
Papier glacé, noir profond. Celle qui se dévoile ne laisse rien transparaître, rien perler. Fidèle à son image projetée, elle reste immobile dans sa pose de trois quarts. Les faux cils, les tenues plus improbables les unes que les autres, en font une marionnette de cire désarticulée.

Le monde de la nuit est encore convoqué avec les trois portraits, grands formats, des magiciens. Coincés dans le même piège de lumière. Tamisés par la même lumière rasante, ils battent les cartes comme les musiciens de jazz battent la mesure. Images arrêtées. Cartes en lévitation. Cette petite musique joue un air que la danseuse a déjà fredonné. L’effeuilleuse laisse place à trois barons du bonto. Les yeux plongés dans le vague, le buste figé, ce sont trois portraits d’un autre temps. Johnny belle gueule, un marin à la Cocteau, un voleur à la Jean Genêt, chacun donne dans le rétro, à force de tirer sur le pianiste et forcer sur le cendreux de l’éclairage.

Les bouquets de fleurs sont de véritables soleils noirs. Ils se démarquent des deux autres séries par leur texture. Si Franz Hals avait à sa disposition vingt-sept noirs différents dans sa palette, Valérie Belin semble avoir plus d’un tour dans son sac.
Après ses solarisations d’hommes bodybuildés et huilés comme des pistons, elle entreprend de travailler sur la matière même de la photographie. Elle tamise et éponge son papier comme un entraîneur de boxe le ferait à son poulain après un round difficile. Elle a remplacé le papier photo par un support textile. Le coton se transforme en buvard et absorbe autant la lumière que le spectre noir.
Pour l’empêcher de baver et de se répandre d’une façon anarchique, notre tireuse à recours à un séchage instantané. A l’aide d’une lampe ultraviolet, elle étuve à sec les vanités qu’elle livre dans son linceul d’ombres. Les tiges, les fleurs sont rejouées par leurs ombres portées. Le reflet des branchages vient étoffer la composition et lui donner un épanouissement inattendu.

Les fleurs semblent fanées, égarées, paumées dans ce tondo chrysanthèmes, à la couleur mortuaire. Couronne pour de faux. Reflet morbide. Le satiné répond à la brillance des magiciens et de la fille du Lido. Le noir se colore en brun pour devenir terre de sienne, brou de noix, sépia. L’effet est aussi étrange qu’imprécis. La forme photographique se mue en cachet graphique. La camera obscura tourne casaque et s’élance dans les méandres des arts graphiques. Elle se raisonne en pierre noire sableuse, en roche volcanique hybride.

Les trois soleils noirs s’évaporent dans la nuit agitée parisienne. Ombres éphémères elles s’accrochent et chancellent par le bout du projecteur. L’illusion et le rêve se côtoient dans une mascarade ou chacun porte le masque et le deuil de ses espérances.

Valérie Belin
— Sans titre, 2007. Impression pigmentaire sur papier baryté marouflé sur aluminium. 157 x 125 cm.
— Sans titre, 2008. Encres polymérisées sur papier pur coton marouflé sur dibond. 155 x 122 cm.
— Sans titre, 2007. Impression pigmentaire sur papier baryté marouflé sur aluminium. 157 x 125 cm.

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