— Auteurs : Collectif
— Éditeurs : Paris Musées, Paris ; Galerie kamel Mennour, Paris ; Collections de Saint-Cyprien, Saint-Cyprien
— Année : 2006
— Format : 21,5 x 28 cm
— Illustrations : Couleur
— Pages : 96
— Langues : Français et anglais
— ISBN : 2-914171-250
— Prix : 30 €
Présentation
Par Sébastien Planas
Il est très difficile de parler d’amour sans courir le risque de tomber dans la mièvrerie ou le dogmatisme. D’un coté, on s’imagine que l’amour est ineffable, qu’il n’est qu’une affaire où la raison ignore les pourquoi du coeur. Alors, la place est laissée à l’eau de rose et tout n’est finalement qu’éternelle redite sur fond d’imagerie kitsch. A l’autre extrême, d’autres types de discours fondent de grandes théories énonçant: «l’amour doit être ainsi», sous-entendant que tout sentiment dérogeant à la règle n’est qu’affection illégitime. D’un coté l’imagerie ou les chansons populaires, de l’autre tous les platonismes.
Il semble pourtant qu’un pis aller serait de montrer plutôt que de commenter. Car si l’amour est une équation insoluble, comme quiconque l’a un jour éprouvé le sait, sans doute faut-il laisser le problème entier dans sa belle complexité. C’est peut-être du coté de certains artistes, ne prétendant rien résoudre philosophiquement, mais simplement montrer, qu’il faut se tourner. C’est ce que l’exposition «Nous nous sommes tant aimés» se propose de faire.
Le couple reste sans nul doute l’espace expérimental où l’intensité de l’amour atteint des sommets. Parce que les êtres humains ne sont pas de purs esprits, l’image des corps est une des composantes littérales de l’amour. Ainsi, voir des gens s’embrasser ou faire l’amour (comme dans les oeuvres de Wim Delvoye ou Adel Abdessemed) fait l’objet de ce que les psychanalystes appellent une «pulsion scopique». Voir à tous prix, sans jamais être vu. Regarder au plus près pour savoir si l’essence de l’amour se laisse découvrir au détour de corps dénudés.
Pourtant, si cette forme de beauté est célébrée par l’imagerie classique qui la symbolise à tout bout de champ (Éros), elle n’en reste pas moins stérile (malgré sa beauté). C’est aussi ce que Camille Henrot montre dans Deep Inside : la pornographie et la mélancolie amoureuse sont parfois les deux faces d’un même sentiment. L’ambiguï;té règne en maître dans ce domaine, ce que les aquarelles de Béatrice Cussol montrent en contrepoint des personnages de Virginie Barré.
Un autre aspect récurrent dans les composantes de l’amour est la mort. Qui n’a jamais prétendu aimer jusqu’à la mort et au-delà ? Quelle Juliette n’a jamais rêvé de son Roméo? Certains, comme Araki, ont accompagné l’être aimé jusqu’à la dernière limite. La mort étant l’irréparable injustice mettant fin à l’amour. D’autres choisissent de succomber volontairement, comme les héros de grands romans, ce que l’on imagine des magnifiques images de morgues d’Andres Serrano.
On sait en tous cas que le combat de l’amour et de la mort est au centre de nos vies, tout simplement parce qu’il est la cause première et la cause finale de nos existences. L’amour est alors pris comme une étincelle entre deux néants. C’était déjà le thème des vanités qui figuraient en quelque sorte le combat d’Éros contre Thanatos, repris plus tard par les interprétations de l’inconscient.
Mais une autre forme d’amour, plus commune, est celle que l’on porte à notre entourage. Si nous ne nous entretuons pas, c’est aussi parce que une forme d’empathie pousse chacun d’entre nous à ne pas être indifférent à son congénère. Rousseau appelait cela de la pitié, et en faisait un sentiment spécifique à l’être humain. Mais cette forme d’amour commune est aussi une des plus impossibles: à l’image des personnages de Benchamma qui semblent perdus, se cherchant et se fuyant en même temps. Mais aussi, la guerre sourde ou déclarée entre chacun de nous, voire au sein de nous mêmes, n’est jamais loin. Miri Segal cristallise cette ambivalence dans ses oeuvres où la douceur et la violence se côtoient dans un difficile dialogue allant jusqu’au politique.
Reste enfin la forme la plus primaire de l’amour: celui que l’on porte à des enfants et à sa famille: l’amour filial en quelque sorte. Larry Clark ou Alberto Garcia-Alix montrent subtilement ce le lien intime et charnel. L’enfance comme charnière de l’amour est également matérialisée par les collages de Closky, qui, comme les souvenirs dont parle Proust, sont teintés de présent et de passé, de trivial et d’essentiel. Mais le lien qui nous lie à nous même, cet amour propre qui est au coeur de notre volonté de vivre et parfois nous dépasse, se trouve incarné dans les oeuvres auto-référentielles de Jeff Koons et Morimura. Et celles-ci, parlant d’amour, ne sont jamais loin du glamour.