Sous le titre cinématographiquement référencé de Notorious (le Hitchcock de 1946 Les Enchaînés), Le Plateau, espace d’exposition du FRAC Île-de-France, propose un ensemble épars d’œuvres contemporaines. Nombre d’entre elles, il est vrai, entretiennent de visibles correspondances avec le septième art. Si l’on veut bien passer prestement la première projection de Keren Cytter intitulée Nightmare (2007), (un court métrage noir et blanc entre un homme et une femme en leur appartement ; six minutes de duel violent, caméra à l’épaule, s’achevant sur une courte mise à mort par immersion prolongée de la femme dans l’aquarium domestique avec plan final sur l’agonie féminine, les poissons affolés et la bibliothèque impassible ; à craindre toujours les piscines on oublie de se méfier des aquariums), si l’on glisse doucement dans les salles suivantes donc, on s’apercevra qu’il faut du temps pour apprécier le parcours.
La troisième projection par exemple, intitulée (2003) de Morgan Fischer, est un intéressant montage d’innombrables scènes de films de genre, qui toutes correspondent à des plans de coupe, aux moments clefs de l’intrigue : mèche qui brûle avant l’explosion, main décrochant le combiné, arme s’apprêtant à faire feu, etc. Des scènes qui conventionnellement n’existent pas en soi mais qui prennent ici leur sens autonome, celui de rappeler le hors champs, et partant de déclencher l’imagination, l’image fantasmée qui suscite tous les affects sensibles de l’amateur : peur, suspens, crainte, menace.
Aucun visage, aucun personnage donc, mais seulement ces plans récurrents qui font la marque d’un genre cinématographique (Werner Herzog remarquait récemment sur les ondes que, dans les films policiers, les personnages passent près de 25% du temps au téléphone).
Au sortir de la petite salle obscure, une grande étoile éclatée et sombre s’étale sur le mur blanc — autre genre. The First Minutes of October (2007) de Christophe Weber est un montage de soixante-neuf pièces de métal patiné noir, vissées au mur, comme une plate machinerie de guerre, une explosion sans relief d’angles aigus. Sans doute une référence au montage virtuose d’Eisenstein dont les premières minutes d’Octobre (1927) montrent non pas l’éclatement d’une étoile — ce qui advint aussi — mais le renversement par les Pétersbourgeois de la monumentale statue du tsar, pièce par pièce, dans une succession affolée de plans de chutes, de crosses levées, de faux prolétariennes et des balancements fumeux d’un encensoir caduc. Comme pour Eisenstein toutefois, l’œuvre de Weber requiert, afin de l’apprécier, une étendue plus grande, à ciel ouvert peut-être.
Mais les recherches menées par les artistes exposés ici outrepassent le cinéma, ou plus exactement elles saisissent le cinéma comme référence idoine à leur thème : le temps, son écoulement et sa représentation.
Obsession chez Etienne Chambaud et ses 530 images de consultation de l’heure dans les films (L’Horloge, 2005-2007), ou délicate mise en scène d’images passées pour Mark Geoffriaud dans son installation Polka Dot (2008), passage de l’objectif rond comme une lune jaune d’un appareil à diapositives vide dans une pièce sombre.
Le délicat cercle blanc accomplit sa révolution à 300° sur les parois, mettant en lumière fugitive les images collées, avant d’achever sa ronde dans le cerclage non moins parfait d’un miroir de coiffeuse. Au passage, l’ombre lumineuse délimite strictement les contours d’un ballon d’explorateur en tournage arctique comme elle suscite le profil silhouetté du visiteur à l’arrêt. Une scène de L’Inconnu du Nord Express d’Hitchcock s’éclaire, elle a été marquée d’un supplément rouge — on découvre que toutes les images ont été marquées de même.
Rouge comme les deux dessins au crayon (crayon de l’architecte) de Jean-Pascal Flavien : Eye View (2005) et Passing (2006). Le dessinateur appréhende un temps long, monochrome, où l’on distingue dans le premier canson, à travers la forêt de traits rouges, la marche d’un diplodocus sans tête.
Temps enfin, car il en faut, pour visionner quotidiennement l’un des soixante-douze 16 millimètres rassemblés pour le Film Festival Version 3 de Ricardo Valentim. Tous les films projetés durant l’exposition ont été réalisés entre 1950 et 1980, tous avaient des fins documentaires, éducatives ou nettement propagandistes à l’attention des régions reculées. Le procédé bruyant du projecteur, l’aspect rougeâtre de nombreuses bobines, la naïveté voire la simplicité des propos énoncés, conforment une ample rétrospective sociologique des modes de représentations policés et étroits de notre modernité. S’il était nécessaire de se convaincre du caractère indigeste du film utile, Ricardo Valentim fait comparaître une inédite série de preuves filmiques ; ne manquent, pour le contrepoint subversif mais non moins éloquent, qu’un ou deux courts de Peter Watkins, La Bombe au hasard.
Dans cet ensemble de regards sur le temps — passé par définition — où se mêle singulièrement un parfum de violence représentée, perce l’ombre inconscient de la mélancolie et du désespoir. Réunis, ces artistes semblent mener une étrange démarche archéologique : ils accumulent les détails comme on cherche du sens, à tâtons, sans être bien sûrs que les détails en recèlent. Ils archivent en consultant leur montre, comme si soudain la modernité ancienne n’avait plus force de révélation, généalogie futile, absurdité qu’ils préservent car on respecte encore les anciens, même fous ; le passé en urgence et l’avenir…. vanité.
Å’uvres
Morgan Fisher
— ( ), 2003. Film 16 mm, 21’, muet. Couleur et noir et blanc.
Mark Geffriaud
— Polka Dot, 2008. Installation, projection diapositive sur support motorisé. Diapositive, livre, miroirs. Dimensions variables.
Jimmy Robert
— Sans titre, 2005. Impression jet d’encre, collage, papiers pliés, graphite, plinthe. Dimensions variables.
Jean-Pascal Flavien
— Eye view, 2005. Crayon rouge sur papier. 57 x 76 cm.
Étienne Chambaud
— L’Horloge, 2005-2007. Éléments informatiques, caisson aluminium. 530 images de films. 40 x 26 x 6 cm.