Timothée Talard
Nothing fixes a thing so intensely in the memory as the wish to forget it
Le feu, les impacts, l’insurrection a toujours pour emblème des scènes que l’on retrouve à l’envi au fil du temps dans les médias. Aujourd’hui c’est sur Internet que s’affichent ces images qui nous viennent de toute la planète. Les insurrections passent avec leurs lots d’affrontements qui, de traces en traces, marquent les paysages urbains.
L’insurrection c’est la ville, là où vit la foule destructrice. L’amalgame prend ou se délite et les commentaires n’en finissent pas de désigner à la vindicte ces actions libératoires. L’énergie de la foule fait peur et l’on en stigmatise les acteurs tels des troupeaux d’animaux sauvages. La foule est féminine et sentimentale disait l’un de nos derniers bourreaux du XXe siècle. Histoire de genre, qu’en sait-on?
La fascination est un jeu de dupe que Timothée Talard ne cesse de mettre en scène dans ses oeuvres. L’image, tel un leurre, extrait d’un faux-semblant de réalisme cette part sombre que dégagent les formes des nuées. Si l’image est le point de départ, elle passe par différents filtres que met en place l’artiste.
Et c’est aussi la voiture, objet de consommation par excellence de notre capitalisme néolibéral sans frontière qui est au centre de ce feu de joie. Talard le reprend pour mieux le customiser. Un néon, élément imperturbable qui éclaire la cité de ses feux nocturnes, signal, paroles muettes des murs et façades. Ici, un déplacement, une phrase de Montaigne décale le propos d’un slogan ou mot d’ordre qui aurait pu dicter cette sentence: «Nothing fixes a thing so intensely in the memory as the wish to forget it» (rien n’imprime si vivement quelque chose à notre souvenance que le désir de l’oublier). Pour l’artiste cela tient à «La violence que l’on engendre ou a contrario que l’on subit du haut de ses fenêtres. Mais c’est aussi une phrase qui pourrait être vu au moment précédent ces mouvements émeutiers… un moment où l’on ressent tellement d’injustice et de déni que l’on ne peut plus fermer les yeux, l’oublier.»
Une pensée qui revient en boucle impossible à sortir de ses pensées (…et où tout doit exploser dans un fracas de violence et de destruction). C’est bien sûr une phrase, que le plus dur de nos vies sera toujours, en mémoire, peu importent nos désirs d’en faire abstraction. La phrase vole et survole, au-delà de son époque, paroles de philosophes, pour venir obscurcir cet élément lumineux, qui en même temps que nous le voyons, met en état d’alerte nos sens, au seuil d’une lecture multiple qui induit en échos, aussi bien les rumeurs du temps que ceux de l’espace.
L’actualité devient obsolète en même temps qu’elle survient et recouvre de ses différentes strates une parole issue d’une boucle toujours recommencée. C’est dans cette invention que se reconnaît Talard. C’est cette énergie jubilatoire qui l’amène à créer des formes entre images, matières et présence. Un sorte de monument à la mémoire qui contient sa propre mort. «Nothing fixes a thing so intensely in the memory as the wish to forget it ». Et les images prennent encore un autre statut alors, celui de séquences montées dans les interstices des flux d’une machine impassible et inépuisable. C’est dans ce décalage que se situe le travail de Timothée Talard. Reprenant les clichés, il en prend la part la plus évidente pour la diffracter en plusieurs éléments qui agissent tels des marqueurs. Que l’on cherche le fil conducteur et l’on ne sait pas où situer cette ambivalence, entre jubilation de l’instant et réflexion via une multitude de fragments qui agissent tels ceux d’un miroir brisé.
L’illusion est renvoyée à sa source. Cette pratique se rattache-t-elle à l’héritage pop? L’héritage en ligne directe nous conduit aux années 1960 par le choix des dispositifs, les formes convoquées et les histoires évoquées, comme surexposées ou floues, entre flashs mouvants et énergies en sommeil. Si aujourd’hui l’insurrection est dévalorisée, jugée obsolète, apolitique ou terroriste, Talard lui redonne voix en la remettant à l’honneur.
Lise Guéhenneux
Vernissage
Vendredi 9 décembre de 18 à 21 heures.