Géraldine Lay
North End
Quand, en 2010 l’association Diaphane à Beauvais lui donne carte blanche pour le projet Destinations Europe, Géraldine Lay choisit de découvrir Glasgow. Depuis, elle retourne chaque année dans les villes du nord de l’Angleterre et de l’Ecosse. Sans intention purement documentaire, elle s’intéresse à ces villes qui ont vécu la fin de l’ère industrielle et qui ont été la toile de fond des grands mouvements sociaux des années 80, marquant ainsi notre entrée dans une nouvelle forme de société.
Lauréate 2015 du programme Hors les Murs de l’Institut français, Géraldine Lay a pu effectuer un long séjour au Royaume-Uni, partagé entre les villes de Manchester, Cardiff, Bristol et Londres, pour clore cette série. Elle mêle des photographies de rue avec celles, plus intimes, d’habitants chez eux. Elle explique sa démarche: «Lorsque je photographie dans la rue, j’affectionne ces instants où tout semble posé, installé comme sur un plateau de cinéma où comme le dit Jean-Luc Godard, il faut “essayer de retrouver dans tous ces mouvements de foule le départ de la fiction”. A l’inverse, photographier les gens chez eux, c’est inévitablement leur demander de poser, les installer, les faire “jouer”. Il faut réussir à leur rendre leur mouvement intérieur. Par l’échange et le temps passé avec eux, je crée un climat de confiance pour réussir à dépasser la seule mise en scène et trouver un équilibre entre la photographie posée et l’instantané obtenu dans l’anonymat de la rue.» Il s’agit là de confronter l’intime au public, l’immobile au flux, d’observer les décors intérieurs et extérieurs et ainsi de poser autrement la question de la fiction.
Jacques Damez, à propos de sa série «Failles ordinaires» (Failles ordinaires, Actes Sud, 2012) éclaire sa démarche: «L’image photographique est parfaite pour jouer ce rôle intermédiaire, cette séparation entre chien et loup, entre apprivoisée et sauvage, ce moment où l’on n’est plus capable de discerner, où la perte de la distinction nous renvoie à la fragilité de nos perceptions et nous plonge dans la projection, l’imagination. On crée alors une fiction pour pallier notre défaut de vision, pour lutter contre l’inquiétude de l’illusion. Il y a quelque chose du drame intérieur, pas celui des consciences tourmentées et des sentiments incertains, mais celui des sensations muettes qui éprouvent l’action silencieuse de la mélancolie. Le drame immobile de la vie ordinaire. Ce tragique intériorisé se montre par des éléments de décor. Bien plus qu’un simple mobilier, ceux-ci définissent un rapport du silence et du bruit, du mouvement et de l’immobilité, de la lumière et de l’ombre, de l’intérieur et de l’extérieur. Plus le drame est intérieur, plus il a besoin de trouver son analogie dans un ton, des attitudes, une scansion du temps ainsi qu’une configuration de l’espace qui lui soient propres.»