Philippe Bazin a répondu en 2003 à une proposition du Musée des Beaux-Arts de Dunkerque qui l’invitait à réagir à une peinture de Hyacinthe Rigaud, peintre français émérite de la cour du roi Louis XIV. Jeune nègre tenant un arc, huile sur toile du Grand siècle, se trouve à l’origine de l’exposition présentée à la galerie Anne Barrault : le portrait chatoyant d’un adolescent noir, vêtu d’étoffes blanches aux reflets soyeux, de généreux velours vert émeraude et vermillon, portant arc et turban.
L’apparat codifié de la pose du jeune homme distrait l’œil et ferait presque passer inaperçu le large collier large doré qui enserre le cou du jeune homme et le lie par une chaîne à sa condition d’esclave dans un siècle conquérant.
En réaction à cette toile qui révolte sans appel mais semble être le témoin d’un passé révolu, l’artiste décide de se lancer dans une investigation presque documentaire de la communauté comorienne de la banlieue de Dunkerque. En ethnographe, il a interviewé les membres de la communauté qui chacun ont vécu des épisodes douloureux liés à leur origine.
Chacun raconte son histoire. Sept moniteurs éparpillés dans l’espace diffusent ces films-portraits au cadrage serré, morceaux de vie à l’échelle un que l’on écoute au casque, les uns après les autres.
Ces hommes et femmes racontent leur quotidien émaillé d’un racisme presque discret, faussement anodin : la remarque d’un professeur d’anglais qui décide un jeune à boycotter les cours et toute les interjections péremptoires, «vous, les étrangers!», comme vain recours, par exemple aux complexités administratives de l’attribution d’un logement social. Certains interviewés veulent y rester indifférents, d’autres répondent, tous sont fiers.
En regard des ces vidéos d’aujourd’hui, l’artiste a placé au mur des photographies qui, dans un cadrage identique, donnent à voir des moulages ethniques utilisés au XIXe siècle pour classifier les races à partir des faciès. Écho bicentenaire aux cases des formulaires administratifs d’aujourd’hui.
Enfin, sur un mur entier, un polyptique de six panneaux photographiques carrés représente un porte-conteneurs à quai dans le port de Dunkerque. Symbole de la traite des Noirs qui transitaient par la mer. Référence au métier de nombreux Comoriens vivant aujourd’hui dans les environs du port.
«Le voyage est au coeur de cette exposition, voyage dans la conscience de ce que l’on est, voyage par la parole que l’on donne aux autres, voyage dans le temps grâce à des photographies de moulages ethniques réalisés au XIXe siècle et qui nous renvoient à notre passé, voyage sur les mers avec un bateau porte-conteneurs qui est devenu la figure contemporaine des transports secrets et indicibles. Voyage donc dans le noir et dans le silence» (Philippe Bazin, juil. 2007).
L’exposition de Philippe Bazin fonctionne comme un ensemble de références qui font sens en se répondant les unes les autres. Au spectateur de tirer les fils d’une réflexion d’artiste toute en suggestions au sujet de l’ironie de l’histoire qui se répète mais aussi de la nature profonde de l’homme qui a tendance à penser que «l’humanité s’arrête aux frontières de la tribu»*.
* Claude Lévi-Strauss au sujet de l’ethnocentrisme, Race et Histoire, brochure de l’Unesco, 1952, réédition Editions Denoël, Paris, 1987, p. 21
Philippe Bazin
— Sans titre (moulages ethniques), Paris 2003. Tirage lambda contrecollé sur aluminium. Série de 24 photographies. 50 x 50 cm.
— Le Bateau, Porto été 2001. Polyptique, ensemble de 6 photographies. Tirage argentique contrecollé sur aluminium et cadre bois. 100 x 100 cm chaque. Edition de 5.
— Intérieurs, (Les Comoriens), Dunkerque 2003. Série de 14 films.