Philippe Bazin
Noir silence
En 2003 le Musée des Beaux Arts de Dunkerque m’a demandé de réagir à une oeuvre de sa collection ancienne, le portrait d’un jeune esclave noir par Hyacinthe Rigaud. Peinture à la facture magnifique et au sujet terrible : cet adolescent porte au cou un large collier de métal relié à une chaîne.
J’ai choisi de rencontrer des Comoriens qui habitent en nombre dans l’agglomération, alors qu’ils restent invisibles dans les rues, les commerces, et sont cantonnés dans les HLM de la banlieue. Un contact passionnant avec des gens débordant d’énergie. Pendant deux heures, ils m’ont raconté leur existence et leur relation avec le monde qui les entoure. Venant de grandes îles de l’Océan Indien, ce sont des marins qui ont souvent travaillé pour la Marine Nationale, la marine marchande, et dans les grands ports français. Leurs histoires sont aussi faites d’un vécu quotidien soumis à l’hostilité du racisme ordinaire. Ce sont des tranches de vie que j’ai choisi de relater dans une trentaine de courts entretiens vidéos. Chacun est venu devant un écran blanc raconter ce qui lui était arrivé. Ces épisodes rappellent sans cesse leur condition d’ »Hommes Invisibles » (Ralph Ellison). Parfois il s’agit plus de l’appréhension d’un vécu et de l’impossibilité à dire les faits.
Le voyage est au coeur de cette exposition, voyage dans la conscience de ce que l’on est, voyage par la parole que l’on donne aux autres, voyage dans le temps grâce à des photographies de moulages ethniques réalisés au XIXème siècle et qui nous renvoient à notre passé, voyage sur les mers avec un bateau porte-conteneurs qui est devenu la figure contemporaine des transports secrets et indicibles.
Voyage donc dans le noir et dans le silence.
Philippe Bazin, juillet 2007
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Marie-Claire Groeninck sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Noir silence