En entrant dans l’espace de l’exposition « Les restructurations spatiales » de Noël Dolla, aux Ponchettes à Nice, on ne peut qu’être séduit par la recherche savante d’une harmonie inédite et insolite, créée par des espaces peints dans des tons vifs. Les niches voûtées sont cernées d’un bleu profond et peintes en rose, jaune, vert anis, pourpre, bleu ciel… Elles abritent des photographies réunies par des lignes tracées avec des bandes de papier collant : ce sont celles-là mêmes qu’utilisent les peintres pour éviter que la peinture ne déborde sur une autre surface — écho du passé de Noël Dolla, qui fut aussi peintre au bâtiment, et qui utilise ce matériau avec virtuosité pour délimiter des figures.
Faire dialoguer le regard et l’espace
Ces interventions plastiques font alors apparaître un autre espace, une série d’hétérotopies fécondes, afin de mettre en déroute nos cadres perceptifs. L’œuvre n’est pas disposée à l’intérieur de l’espace architectural, elle le déconstruit en l’ouvrant. Les formes géométriques que dessinent les lignes ne sont pas des espaces fermés, ce sont des lignes de fuite qui aspirent le regard vers un ailleurs.
Cette déconstruction a sans doute été rendue difficile par le caractère imposant du lieu où se tient l’exposition : on pénètre dans une salle enveloppante aux murs massifs. Ouvrir ce lieu clos par de nouvelles perspectives, y créer des échappées, y inventer des espaces potentiels avec des surfaces colorées, élargir notre champ visuel avec des lignes qui traversent le plafond en biais comme des rubans ou bien avec des cercles qui parsèment le sol : cela fait sans cesse dialoguer le regard et l’espace.
Noël Dolla nous propose une interaction constante entre le site et l’œuvre qui s’y inscrit, il s’approprie le lieu en choisissant des couleurs vives qui claquent de manière différente sous chaque voûte. En installant des lignes pour tracer des figures et en dessinant des cercles au sol, il invente une géométrie nouvelle qui occupe la totalité de cet espace. Les voûtes cessent d’être perçues à l’identique et se mettent à vibrer selon l’intensité des couleurs. Noël Dolla crée des évènements qui remettent en question la notion d’œuvre picturale.
Dans le sillage de Supports/Surfaces
Comment l’espace géométrique dont les lignes ouvrent par leur mouvement à l’infini un horizon démesuré peut-il cohabiter avec la clôture d’une architecture ancienne ? Et de quelle manière vient-il perturber les conventions de l’espace pictural en s’échappant hors cadre ? Par ce que Noël Dolla avait nommé les « restructurations spatiales » : un jeu avec l’espace qui est moins déconstruit que restructuré, c’est-à -dire reconstruit en étant organisé autrement.
A l’automne 1969, au sein du mouvement Supports/Surfaces, il avait proposé dans le paysage dans l’arrière-pays niçois des formes éphémères exigeant des spectateurs qu’ils s’aventurent hors des lieux ordinairement dévolus à l’art. L’œuvre intitulée Propos Neutre n° 2 – Restructuration spatiale fut réalisée à 2000 mètres d’altitude sur les cimes de l’Authion. Elle se composait de cercles roses tracés sur des rochers et des murets. Il s’agissait pour Noël Dolla de faire « prendre de l’altitude à la peinture ». En février 1970, une nouvelle Restructuration spatiale composée de trois grands cercles colorés fut réalisée sur le flanc enneigé de la même cime de l’Authion. Conformément à l’esprit de Supports/Surfaces, il s’agissait de contourner le système de l’art en le transportant hors des circuits habituels et en générant des interactions inédites entre les Å“uvres et le public.
Donner à penser plus qu’à admirer
Dans le paysage comme dans la galerie des Ponchettes à Nice, c’est toujours la peinture qui est en jeu dans le travail de Noël Dolla, et la couleur qui est le moyen de détourner-déconstruire l’espace. Les « restructurations spatiales » sont le concept fondateur de son travail. Selon lui les plages et les montagnes deviennent le support d’un geste artistique qui les modifie à la manière dont un maquillage peut transfigurer un visage.
Dans l’exposition des Ponchettes, Noël Dolla ne cherche pas à inscrire son œuvre dans l’espace comme un décor qui le rendrait plus accueillant, mais à créer un espace autre. Il s’agit d’interroger les limites de ce que nous percevons ordinairement. Car l’espace ne nous est pas extérieur, nous le créons par notre sensibilité : les couleurs, les formes, les éléments plastiques construisent l’espace que nous percevons, avant même de donner sens et valeur esthétique à ce qui nous apparaît.
Montrer que l’espace n’est pas une donnée immédiate mais qu’il est toujours variable, toujours à recréer, qu’il peut donc être restructuré est pour Noël Dolla la fonction de l’art, et de la peinture en particulier. L’artiste doit, selon lui, doit « donner à penser plus qu’à admirer ».