Michael Sailstorfer confirme une des options de la galerie Emmanuel Perrotin, de miser sur une jeune génération d’artistes. L’année dernière Peter Coffin avait lancé la saison en inaugurant l’impasse Saint-Claude. Un chemin de rails, sorte de montagne russe des Temps modernes, transportait un ballon rouge gonflé d’hélium. A la fin de ce petit voyage sous la verrière, le clap de fin retentissait, tandis que le ballon s’échappait par un vasistas entrouvert.
Une nouvelle fois, c’est ce genre d’aventure qui se répète avec Michael Sailstorfer, artiste allemand âgé de 31 ans. Le processus de création et de destruction est au cœur de son travail.
La sculpture la plus intéressante de ce point de vue et la plus efficace, est une machine à pop corn. Abritée derrière un caisson d’inox, une petite machinerie s’active à produire du maïs soufflé. Ce caisson galvanisé ressemble à une fontaine à eau, présente à tous les étages d’un immeuble de bureaux.
Petit, fonctionnel et discret, c’est d’abord le bruit qui attire l’attention. De manière régulière et constante, la machine crache par salves successives ses boyaux en forme de copeaux chauds et fumants. L’orgue de barbarie joue sa propre partition et recrache ses expansions appétissantes en forme de grumeaux. La petite musique fonctionne comme un automate et distille, disperse dans les airs, des interjections aussi absurdes et insolubles qu’un poème bruitiste.
La grammaire est claire mais la composition désordonnée. Les notes une fois jouées, une fois disséminées dans les airs, viennent s’échouer en bas du piédestal d’airain. Les tubes surplombant ce présentoir grésillent encore des grains de maïs palpitant des entrailles du monstre et remontant dans sa gorge. Ils ressemblent à des fûts de canon que l’on trouve sur les tourelles des chars d’assaut.
Crachant un feu destructeur, ils allument et ponctuent le champ de bataille. Ici c’est la moquette noire et épaisse qu’ils arrosent d’une mitraille aussi éparse et bigarrée qu’une salve de cotillons. La pluie de corn flakes inonde de sa présence une flaque chaude qui, à chaque nouvelle détonation, se transforme en pyramide de friandises, en montagne de fête foraine.
L’odeur de la poudre est remplacée par celle de la barbe à papa. Les douilles jonchant le tapis moelleux sont aussi tendres que chaudes. Le tir meurtrier se transforme en kermesse joyeuse et improbable.
Ce tir automatique est une belle métaphore de l’œuvre d’art. Comment naissent et meurent les sculptures? Comment les idées se transforment-elles en solution? Comment faire comprendre le mystère de la création ?
Depuis plus de trente ans les artistes, mais surtout les sculpteurs, tentent de répondre à cette question. Ils interrogent leurs matériaux de prédilection et se servent d’autres techniques, d’autres médias pour enfoncer le clou.
Le suisse Roman Signer utilise les explosifs pour consigner les limites et les fins de l’œuvre d’art. L’autrichien Erwin Wurm, en fabriquant des sculptures en une minute, les One Minutes Sculpturs, pointent du doigt la fragilité et la puissance de ces œuvres précaires. Cloaca, ou la machine à merde, du flamant Wim Delvoye, outre son caractère choquant et scatologique, nourrissait l’ambitieux projet de montrer une œuvre d’art en train de se créer. Le processus artistique reprenait la lente gestation d’un tube digestif recréé pour la circonstance.
Ces exemples ont pour point commun d’être légion mais aussi de pratiquer un art des limites basé sur l’humour. Néanmoins il serait faux et maladroit de les cantonner à n’être qu’humoristique. Chacun à leurs manières ils touchent du doigt les enjeux majeurs de la création.
Michael Sailstorfer, à sa manière s’inscrit dans cette mouvance qui pointe les frontières de l’art.
Michael Sailstorfer
— Vue de l’exposition No light, 2009, galerie Emannuel Perrotin
— Vue de l’exposition No light, 2009, galerie Emannuel Perrotin
— Vue de l’exposition No light, 2009, galerie Emannuel Perrotin
— Vue de l’exposition No light, 2009, galerie Emannuel Perrotin
— Vue de l’exposition No light, 2009, galerie Emannuel Perrotin