Depuis plus de 20 ans, de sa ville natale de Tel Aviv à son agence londonienne, du design industriel aux productions limitées, rien ne semble pouvoir résister aux expérimentations formelles de Ron Arad — ni les idéologies, ni les frontières entre les genres, ni les matériaux les plus rétifs, ni même les lois élémentaires de la physique. « Je ne crois en aucune théorie prescriptive qui nous explique ce qui doit être ou ne pas être » affirme l’artiste haut et fort, revendiquant son autonomie face aux tentatives de classement de son œuvre, dont la caractéristique première, la liberté, est à la fois un moyen, un but et la raison de son succès.
Cependant, cette liberté autoproclamée n’exclue pas une certaine méthodologie de travail et l’existence de constances directrices. Pas besoin d’être un spécialiste pour percevoir, dés l’entrée dans l’exposition, la domination écrasante des lignes courbes, déclinées en sinusoïdes, ellipses, spirales ou huit renversés, matrices des meubles — la fameuse bibliothèque Bookworm éditée par Kartell — et des architectures — Opéra de Tel Aviv ou Musée d’Holon en Israël. L’œuvre en est habitée d’une aura maternelle, sensuelle et organique, à l’image de ce gros boyau médian (intestin ou cordon ombilical) qui sert à  la circulation et l’évacuation des visiteurs dans le projet pour la Médiacité de Liège. Cette tendance à la courbure oblige l’œil à s’adapter aux surfaces concaves ou convexes, coquilles ou alvéoles protectrices, qui l’animent, l’emprisonnent ou le bercent d’illusions. Et elle s’exprime plus librement encore dans les éditions limitées — auxquelles nous sommes confrontés dans la première salle — et les productions récentes, comme les séries de sièges Oh Void (2004-2006) et Bodyguard (2007).
Doutant de la stabilité des assises — dont l’effet culbuto supposé est pourtant neutralisé par un système ingénieux utilisant le poids du corps —, égaré par le miroitement du métal poli ou la transparence de la silicone, on a l’étrange impression d’un univers fictionnel, vaguement futuriste, résolument technologique. Jouant des reflets sur les surfaces et des iridescences, exploitant au maximum la couleur naturelle des matériaux, Ron Arad maîtrise l’art de l’illusion jusqu’à faire croire à une dématérialisation prochaine. Et cela, sans distinction de taille ou de médium, du bibelot au meuble, de l’architecture à la scénographie même de l’exposition, entièrement conçue par ses soins.
Baroque donc, car se permettant toutes les fantaisies et les effets du sensible, son travail se base néanmoins sur une structure simple et s’inscrit dans un héritage formel des plus sages. Ses réalisations sont souvent fabriquées à partir d’une seule feuille, ruban ou plaque de matière, prônant ainsi la même économie de moyen, la même pureté de la ligne que le design fonctionnel. Associée à une recherche de confort et de légèreté — la Well Tempered Chair dans version carbone, par exemple —, nourrie d’une admiration inconditionnelle pour Jean Prouvé, cette caractéristique explique la réussite du designer dans le secteur industriel avec Vitra ou Kartell notamment.
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Si Ron Arad a su façonner la forme pour une ergonomie optimale, il sait tirer le meilleur parti des matériaux existants et des avancées technologiques. Utilisant depuis toujours la soudure et l’acier trempé, il découvre, à la fin des années 1980, les avantages de l’aluminium moulé sous vide et, par cet intermédiaire, toutes les potentialités offertes par l’industrie aéronautique — comme Alvar Aalto avant lui. Ainsi, révélant ce goût pour les expérimentions de la matière, le fauteuil Big Easy se pare de vinyle ou de pigments colorés dans sa version New Orleans pour renaître en 2008 dans un beau polyéthylène recyclable.
Telle est la loi du designer… une réinvention, une prospection permanente, dont le manifeste, la Rover Chair de 1981, née de la récupération d’un siège automobile fixé sur une structure d’acier tubulaire, annonce son intérêt pour le ready made. Et dans la famille des objets cultes, ne surtout pas oublier la Concrete Stereo, installation hi-fi intégrée à des blocs de béton qui tient autant de la construction que de la ruine, de la prouesse technique que du précaire, du design que de l’art du détournement. Un joyeuse ambiguïté à l’image même de son créateur.
Ron Arad
— Chaise sculpture, Bodyguard, 2008. Aluminium superplastique chauffé à 500 degrés et soufflé comme un ballon dans des moules d’acier puis découpé et poli miroir avec des perforations. 140 cm x 190 cm x 93 cm, environ 35 kg. Éditeur Gallery Mourmans, Maastricht.
— Musée de design, Holon, Israël, 2004. Projet en cours. Musée de 3100 m2 avec deux grands espaces principaux d’exposition dont la flexibilité facilite des aménagements souples.
— Siège Oh Void, 2006. Série Blo-Glo. Silicone transparent moulé squelette aluminium. Edité à 6 exemplaires. 70 x 120 x 65 cm. Éditeur The Gallery Mourmans, Maastricht.
— Chaîne hifi Concrete Stereo, 1983. Tourne-disque, amplificateur, 2 haut-parleurs, composants électroniques intégrés dans le béton.
— Fauteuil Rover Chair, 1981. Siège automobile de récupération d’une place recouvert de cuir, fixé sur une structure d’acier tubulaire laquée époxy ; le dossier inclinable prend appui sur la structure en arc de cercle. 78 x 69 x 92 cm. Éditeur One Off, Londres.
— Fauteuil New Orleans, 1999. Fibre de verre et polyester imprégné de pigments. Réalisée à 18 pièces uniques par Ron Arad pour la Galerie Mourmans. Éditeur The Gallery Mourmans, Maastricht. Collection particulière.