Frapper à coups de tampons du papier, fouetter une toile avec des objets enduits de peinture, l’énergie physique comme les effets d’accumulation et de répétition sont à l’oeuvre dès les premiers travaux d’Arman.
Ces peintures sans pinceau, intitulées Cachet et Allure d’objet, privilégient une appropriation plus directe du réel, rapprochant le peintre des préoccupations plastiques du Nouveau Réalisme, dont il signe le manifeste en 1960.
Par la suite, Arman introduit directement l’objet dans ses œuvres. En les enfermant dans des boîtes, il suspend ces objets de leur fonction d’ustensile, leur donnant ainsi une visibilité extra-ordinaire. Leur statut est très différent de celui qui prévaut à la même époque dans l’art conceptuel, en raison de son caractère évident de poésie. Lorsqu’Arman intitule Cyclofiat une accumulation de phares de vélo dans une boîte, il confère à l’objet une possibilité de transformation et de polysémie. Son appropriation n’est plus seulement objectale mais imaginaire.
Omniprésent depuis l’après-guerre, l’objet de série instaure le règne du jetable. Avec la série des « Poubelles », Arman prend acte de ce phénomène de consommation accélérée des objets. D’un point de vue sculptural, cette thématique permet à l’artiste de travailler sur la notion d’espace considéré comme contenant.
Compressés dans des boîtes en plexiglas, les objets enchevêtrés ou en décomposition ne sont guère plus identifiables. Ils s’imposent par la place qu’ils prennent dans l’espace. Leur caractère de rebut indestructible est ici souligné, comme en écho au phénomène naissant du tas d’ordures anarchique, conséquence ultime de leur prolifération envahissante.
Arman rappelle volontiers ne pas avoir inventé ce vocabulaire de l’excès, mais l’avoir trouvé dans la surproduction d’objets caractéristique des années 60 où « sans doute plus d’objets ont été produits […] que dans toute l’histoire de l’humanité ». Assemblages d’objets similaires, les « Accumulations » jouent sur ce vertige de leur fabrication à la chaîne. Les objets perdent leur singularité pour devenir des unités abstraites d’un ensemble plus vaste.
Cette dissolution de l’un dans le multiple marque une rupture d’échelle entre l’artisanal et la fabrication de masse, mais aussi une accélération du temps de production. La Briseuse de vagues, accumulation verticale de tête de pioches est à cet égard particulièrement éloquente.
Excessif, Arman l’est aussi dans ses interventions physiques sur les objets qu’il casse, brise, fend à coups de hache pour en fixer ensuite les morceaux sur des panneaux de bois.
Faut- il donner un sens iconoclaste à ces actions? Sans doute, lui qui ira jusqu’à brûler un fauteuil bourgeois, mais pas uniquement. Il y a aussi ce désir de rendre les objets plus proches, moins fermés pour s’en approcher, les sonder. Casser, oui, mais pas n’importe comment.
Adepte d’art martiaux, notamment du judo qu’il pratiqua avec son ami Yves Klein, Arman a l’art de la justesse du coup, où la maîtrise du mouvement est condition de l’efficacité du geste. Il réalisera ainsi certaines « Colères » en public ou devant les caméras de la NBC.
Le choix des objets est également important, qui donne aux « Colères » une portée symbolique ou esthétique variable. Le caractère critique et contestataire de l’acte, auquel on songe devant une télévision brisée en mille morceaux, a une portée lyrique et transgressive lorsqu’il s’agit d’un instrument de musique.
« Accumulations » et « Colères » forment un répertoire de gestes dont les implications symboliques, affectives ou émotionnelles changent en fonction de l’objet sur lequel ils se portent.
La « Coupe » est en revanche un type d’intervention moins polysémique. Elle induit une approche plus rationnelle de l’objet, une intervention réfléchie, constituant sans doute l’acte le plus apollinien de la palette gestuelle d’Arman. L’objet s’exhibe en plusieurs morceaux,faisant penser à la phase analytique du Cubisme. On appréciera particulièrement ici la coupe de contrebasse intitulée Subida al cielo qui est, sans nul doute, l’une des plus remarquables.
Arman
— Accumulation Renault n°152, 1968. Capots de R16 soudés. 76 x 133 x 124 cm.
— Sans titre, 1999. Fragmentation d’arrosoirs recomposés sur panneau de métal. 120 x 145 x 12,5 cm.
— Subida al cielo, 1961. Coupe de contrebasse sur panneau de bois. 245 x 122 x 34 cm.
— La chute des courses, 1996. Accumulation de chariots de supermarché. 345 x 433 x 115 cm.