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No Color

« No Color » est une exposition familiale, un prétexte pour rassembler les designers de la galerie dans leur diversité, ce qui ne va pas sans dessiner les contours d’une identité commune. Elle rassemble des objets sans couleur. Pour cette exposition d’hiver, le prétexte formel est facile. Mais la trêve de fin d’année n’oublie pas les créateurs haut-en-couleurs de la galerie, certaines pièces ayant été rééditées en habits de fête, comme l’Exolight de Laurent Massaloux, chromée pour l’occasion.
Les objets de l’exposition cohabitent en intelligence, et avec légèreté. Le galeriste ne cache pas son plaisir à la visite de ce display hétéroclite au sein duquel il a apprécié « recréer des paysages ». Utilisant toutes les stations possibles en l’espace, elles incarnent tour à tour la toile d’une araignée, un satellite en orbite ou encore le mirage d’une chaise.
   
L’absence de couleur laisse imaginer entre les objets un univers astral, d’autant que ce sont en majorité des luminaires. Mais ce n’est pas tant dû à l’esthétique des pièces, qu’à la façon qu’elles ont de chercher, tels des corps étrangers à leur environnement, la modalité de leur être-au-monde.
Certes, le luminaire Orbital d’Olivier Sidet ressemble à un appareil spatial. Suspension réglable en hauteur et en angle, cet abat-jour aérodynamique est construit autour d’un bâton de lumière à manipuler en faisant coulisser une sangle : ce système permet d’obtenir avec la même lampe une lumière froide (le tube fluo nu) ou chaude (sous le revêtement PVC). La pièce Exolight de Laurent Massaloux participe du même imaginaire : l’abat-jour est pris dans une structure linéaire en acier qui donne l’impression qu’il flotte à l’intérieur de trajectoires, tel un noyau atomique.
Un effet d’apesanteur se dégage aussi de la Crochet Lamp dentelée de Marcel Wanders, et de la Spiderlight d’Ineke Hans, tissée d’un ruban chromé. La broderie et le tissage impliquent une certaine respiration, une autre forme de vie née de la temporalité du geste de leur fabrication.

Notons enfin leur autonomie fonctionnelle : le précieux ruban de la Spiderlight sert de réflecteur de lumière, et ce luminaire, ainsi qu’Exolight, sont d’une espèce adaptable à tout milieu grâce à leurs facettes géométriques, qu’ils soient posés, suspendus ou sur pied. Quant à la Pin Light de Chris Kabel, elle prend vie au hasard d’un contact : l’usager est invité à épingler, sur un coussin en mousse appliqué au mur, des aiguilles surmontées de LED qui viennent en toucher les contacteurs internes.
   
Cette exposition nous plonge dans une atmosphère animée par la présence discrète d’objets mutants, dont on ne distingue l’étrangeté qu’à la vue d’indices paradoxaux.
Certains trahissent leur nature singulière, comme le Tree of Light tubulaire et métallique d’Ineke Hans, dont les pieds sont réservés en bois non traité. Par inadvertance, ils laissent paraître les signes de leur altérité. La chaise noire de Maarten Baas emprunte les airs d’une assise tout à fait normale, mais on lui découvre une allure ondulée qui évoque un mirage domestique à la Van Gogh.
Enfin, la Visual Inner Structure de Gudrun Lilja, fauteuil traditionnel en bois et osier presque camouflé de laine dont la pelote reste posée sur le siège, dialogue avec la Mesh Chair de Chris Kabel, dont le treillage menace notre peau de son empreinte… La laine est grise, le grillage aussi : l’une évoque la chaleur du foyer (alors qu’elle est faite d’une assise austère et rustique), et l’autre la sévérité (bien que son volume soit modelé tout en rondeur).

Aussi le dénominateur commun de ces objets reste-t-il de désemparer l’usage, de compliquer l’appréhension. Malgré leur allure hiératique, les vases Blooby de Frédéric Ruyant permettent la fantaisie de se servir de anses pour les porter ou en laisser échapper des fleurs. Quant aux excroissances fonctionnelles des ovnis que sont les céramiques de Florence Doléac, elles provoquent une libération de l’usage par la surprise et l’étrangeté. Ces créations favorisent ainsi le contact, la recherche d’intelligence entre l’usager et l’objet, la construction de sens à l’échelle domestique.

— Vues de l’exposition No Color, Galerie Tools, 2008.

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