— Éditeur(s) : Paris, Flammarion
— Année : 2002
— Format : 32 x 24,50 cm
— Illustrations : 150 en couleur
— Page(s) : 160
— Langue(s) : français
— ISBN : 208200788X
— Prix : 50 €
L’art du paysage (extrait)
par Hubert Besacier
L’œuvre contemporaine et la nature : marcher le paysage
Au début des années soixante, les tendances de l’art connaissent un tournant décisif. Les artistes de Ia nouvelle génération se préoccupent du réel. Les faux-semblants séducteurs de l’œuvre sont bannis. On tente d’en revenir aux gestes et aux formes simples. C’est Ia période du Minimalisme, de l’Art pauvre. Certains artistes utilisent leur corps comme instrument, provoquent le contact direct avec le public au cours d’actions, de happenings ou de performances. C’est également le temps du grand rêve du retour à Ia nature. Dans un tel contexte historique, il va de soi qu’au moment où l’on interroge fortement les pratiques artistiques traditionnelles, la peinture en particulier, plusieurs de ces jeunes artistes s’efforcent de revenir à Ia forme première de l’expérience esthétique, celle qui met en rapport direct le corps du promeneur avec les espaces naturels. Ce phénomène est général, Il est manifeste de part et d’autre de l’AtIantique. On voit ainsi Robert Smithson, Nancy Holt, Carl André entreprendre des marches dans les grands espaces américains. Une école anglaise voit également le jour, qui privilégie la marche, Hamish Fulton, Richard Long en sont les représentants les plus significatifs. Mais le travail avec Ia nature est aussi le fait d’artistes comme Peter Hutchinson ou comme David Nash. Dans les années 1980, apparaîtra une nouvelle génération à laquelle appartient Andy Goldsworthy, qui poursuit son travail dans les voies ouvertes par David Nash et par Nils-Udo.
Aux Ëtats-Unis, ces pratiques débouchent, au cours des années 1960/1970, sur ce qu’on oppelle l’Earth Art ou le Land Art, qui implique des remodelages du terrain, et une forte inscription dons le paysage de sculptures ou de constructions (Spirol Jetty de Robert Smithson, Sun Tunnels de Nancy Holt, The Lightening Feld de Walter De Maria, Double Negative de Michael Heizer, pour les Å“uvres les plus fameuses), Les artistes anglais s’orientent plutôt vers des Å“uvres qui rendent compte des circuits effectués, L’artiste randonneur peut éventuellement laisser des traces de son passage, mais de façon plus légère. Il s’agit de Ia trace du corps ou de son action physique : déplacement de pierres, marquage de l’herbe par Ia trace des pas, assemblement de branches, de fagots de roches… et non de recours à des engins de terassement comme c’est le cas dans les déserts américains.
Fulton et Long pratiquent aussi le relevé photographique. Leurs tirages noir et blanc, de grand formats sont assortis de légendes et de textes et encadrés comme des œuvres traditionnelles, On y découvre les éléments les plus caractéristiques des paysages, les interventions effectuées par l’artiste, de menus objets banals rencontrés chaque jour in situ, ou encore les animaux, les oiseaux que l’on a croisés.
Nils-Udo et l’œuvre vivante, évolutive
C’est dans ce contexte, au tout début des années 1960, que Nils-Udo entreprend son œuvre. Il est né en Bavière, son enfance s’est déroulée en Franconie et dons le Tyrol (qu’aujourd’hui encore il continue à arpenter durant ses loisirs). Ses années de formation mêlent de façon indissociable les deux voies de l’expérience esthétique que nous venons d’évoquer : aux sensations vécues de Ia promenade, se conjugue l’acquisition d’une culture musicale, poétique et philosophique, essentiellement germanique. Ses préoccupations d’artiste sont alors celles d’un peintre. Le choix de la peinture l’amène à compléter cette formation par une totale immersion dons Io culture française : le temps des apprentissages se conclut par un séjour à Paris de près de dix années.
À cette complémentarité des cultures française et germanique, il faut ajouter Ia dimension essentielle du dépaysement. Dans toutes ses chronologies biographiques, Nils-Udo insiste sur l’importance des voyages dans sa formation. Pendant des années, il parcourt l’Europe, l’Union soviétique, le Maroc, le Moyen-Orient, Un séjour d’un an en Iran, à Ia fin des années 1950, semble déterminant. Il consacre Ia rencontre avec Ia grandeur exaltante des paysages désertiques et l’ouverture aux cultures extra-européennes.
Avec Ia peinture, Ia première phase de l’activité artisfique de Nils-Udo est donc caractérisée par Ia représentation quoique, dès 1960, il se soit éloigné de Ia figuration abordant une peinture plus abstraite, mû par Ia volonté de pénétrer à l’intérieur des choses plutôt que « représenter ». À Ia fin de son séjour à Paris, il se trouve en phase avec les nouvelles conceptions de l’art. Lorsque, en 1970, il revient en Bavière, il ne tarde pas à prendre lui aussi, au pied de Ia lettre, cette question des rapports directs de l’art avec Ia nature. Dès 1972, il délaisse son activité de peintre pour travailler dans et avec Ia Nature. L’œuvre passe de Ia représentation à Ia présentation. La formule Natur-Kunst-Natur traduit parfaitement son engagement : l’art part de Ia nature et y revient. L’art est une phase transitoire entre deux étapes naturelles.
En optant pour une intervention directe sur et dans Ia nature, Nils-Udo satisfait à l’exigence de vérité requise par Ia nouvelle conscience artistique. La nature est alors un outil comme un autre, elle n’est plus un modèle, un sujet d’imitation pour un autre médium, mais l’objet même de l’activité esthétique. (…)
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Flammarion)
Les auteurs
Nils Udo est né en Allemagne en 1937. Il est devenu peintre. Puis il a trouvé sa voie, un chemin qui l’a mené à travers le monde, de l’Inde au Mexique, de la France aux Étas-Unis ou au Japon. Il sculpte dans la nature avec des matériaux trouvés sur place. Non pas à coups de bulldozer, mais au contraire en tout respect, en toute délicatesse. Et puis il photographie les microcosmes qu’il a créés. Fragiles et beaux comme la survie de la planète. Sculpteur de nature, Nils Udo est présent dans les musées du monde entier, invité à réaliser des installations sur les cinq continents.
Hubert Besacier, critique d’art, est l’auteur de très nombreuses publications consacrés à des artistes contemporains.