Edgardo Navarro
Nierika
Les peintures d’Edgardo Navarro nous invitent à de drôles de déplacements dans une histoire de l’art en écho à la grande histoire. Est-ce parce que le monde contemporain avec ses transferts de données et d’argent électronique ne se laisse pas aisément représenter, ou simplement que les histoires de transfuges et d’espions dans l’Europe d’avant-guerre ou dans le monde de la guerre froide, offrent à l’imaginaire une nourriture plus substantielle, que cet artiste construit son Å“uvre comme une matière à contes….
Dans ce conte ouvert, que chaque tableau viendrait enrichir d’un nouvel épisode ou d’une nouvelle bifurcation, on croit identifier savants ou magnats échappés d’un studio de Babelsberg ou de Billancourt pour s’allier à des dictateurs sud-américains ou des maîtres du monde abrités derrière des lunettes de soleil. Au milieu de ce théâtre, la figure en creux ou en caméra subjective d’un héros nourri de Tintin et de Burroughs qui s’efforce de percer le secret, dut-il pour cela croquer dans un champignon et voir son image disparaître au fond d’un miroir, ou bien assister fasciné aux sortilèges qui frappent de bien curieux personnage.
La précision dans le rendu de détails architecturaux ou vestimentaires renforce le caractère merveilleux de ce basculement d’un réel indatable vers une destination inconnue.
En prenant les choses autrement, on pourrait dire que Edgardo Navarro trace un parcours pas très rectiligne entre Neue Sachlichkeit et peinture métaphysique et plus généralement à travers ces courants picturaux longtemps occultés par la puissance de feu du modernisme. Mais ces peintures témoignent aussi d’une fascination pour les tableaux à l’énigme de la Renaissance (quand les ambassadeurs portaient eux aussi des manteaux de fourrure), tout en rendant compte d’une réalité plate aux tonalités ocre, brune et noire sur lequel il balade son projecteur poursuite; à moins que ces cercles de lumière ne soient un rappel des séances de lanterne magique.
Saturne, celle des télescopes électroniques, se détache sur un ciel noir et éclaire un tas de pavés déposé sur le sol de l’appartement. Est-ce l’irruption d’une rumeur de la rue ou un monument improvisé aux révolutions perdues? Le store aux lamelles mal alignées, en apparence superflu, est en fait l’accessoire indispensable pour ancrer dans la banalité cette moderne Mélancolie.
Derrière cette fantaisie faite de récits emboîtés, se lit aussi le parcours artistique d’un centraméricain passé par l’enseignement de Leipzig et peut-être est-ce même ce parcours qui constitue en grande partie la matière de l’Å“uvre. Cet artiste très réel est aussi le témoin des fictions qu’il invente et auxquelles il appartient en partie.
Patrick Javault