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Niek van de Steeg

Le Centre d’Arts plastiques de Saint-Fons a consacré une exposition au concepteur d’espaces néerlandais Niek van de Steeg, auteur de «Tableaux noirs en couleurs».

Information

Présentation
Pascal Beausse
Niek van de Steeg

«Le projet qui fait connaître Niek van de Steeg dans la dernière décennie du XXe siècle s’intitule TGAD, sigle pour une Très Grande Administration Démocratique. Dix années avant que Jean Nouvel prenne la défense de l’usine Renault, qui avait transformé l’île Seguin en vaisseau-amiral de l’industrie taylorisée à l’époque des grandes entreprises nationales, vaisseau aujourd’hui devenu épave en attente de sa requalification culturelle, NvdS propose de raser ces mêmes bâtiments. Deux conceptions s’opposent alors, entre la volonté (justifiée sans doute, mais nostalgique aussi) de conservation énoncée par l’architecte éclairé, et l’audace subversive de l’artiste. Considérer que les murs de béton gris d’une usine désaffectée contiennent la mémoire de la classe ouvrière participerait en effet d’une pensée sous-jacente, propre aux élites, de la «disparition du travail». Plutôt que de créer un lieu de mémoire, NvdS, réendossant avec ironie la figure de l’artiste-architecte des avant-gardes, propose de construire, en lieu et place de l’usine, un bâtiment qui questionnerait les réalités politiques de la société actuelle, à l’heure de la construction européenne. Venant après la fin des idéologies, après l’échec des utopies, la TGAD est un bâtiment consensuel vide de sens, une machine célibataire dont la fonction, énigmatique, est d’être une méta-structure : une administration de l’administration. «L’image d’une structure qui tourne à vide.» Avec cette utopie critique, Niek van de Steeg propose une métaphore de la société.
La fiction est employée pour interroger le réel.
L’absurde vient côtoyer le vraisemblable. […]

« Comment travailler avec la complexité ?», se demandait déjà NvdS avec la TGAD. En produisant des formes paradoxales. Des formes découlant d’une mise en Å“uvre pragmatique et cherchant à questionner les raisons mêmes de leur commande. Face à l’incitation qui lui est faite de participer au spectacle, à l’événementiel, l’artiste choisit de se frotter aux exigences d’une réalité où l’art court le risque d’apparaître comme valeur ajoutée. […]

À l’ère de la culture glocale, NvdS réinvente la notion de Site-Specific Art, en prenant en compte les multiples coordonnées topographiques du lieu où il intervient. À Saint-Fons, toute l’exposition part de l’implantation du centre d’art, et de la qualification architecturale et urbanistique du bâtiment qui l’abrite, nommé Immeuble-écran. À quoi peut bien faire écran un immeuble ? En l’occurrence, dans cette banlieue de Lyon bien connue pour son «couloir de la chimie», si odorant, l’immeuble s’interpose entre la ville et la zone industrielle. Dans l’usine Rhodia en face du centre d’art on fabrique de la Vanilline : une molécule reproduisant l’arôme de vanille, odeur si sympathique des produits de consommation agro-alimentaire et hygiénique, parfum des années Bobo. L’artiste se fait climatologue. Il inspecte l’atmosphère particulière du lieu où il expose. À Saint-Fons, le parfum de vanille artificielle embaume les rues et les vies tout au long de l’année — jusqu’à l’écœurement. Il reprend à sa façon le logo de la Vanilline Extra-Pure, en noyant le motif dans un magma glacé, matière picturale évoquant un Logo/No Logo à l’exposition, qui offre à la consultation dans un espace «bavardage» ou libre affichage toute une série de documents sur tableaux aimantés. Il ne se comporte pas ici en producteur de documentation, mais en agrégateur d’informations. À l’heure de la réalisation partielle d’un utopique savoir universel disponible gratuitement, les feuilles imprimées proviennent toutes d’lnternet. Elles sont insérées entre les faux logos-vrais blasons modernes et d’autres tableaux qui reproduisent les différentes échelles d’images de cette industrie, de la molécule à l’usine. En traçant des liens entre vanilline et Zyklon B, elles reconstituent une histoire oubliée de l’industrie locale.

L’exposition est ainsi conçue de manière rhizomatique, où de multiples faisceaux mettent en correspondance ses différentes images. Ce bel oxymore de «tableaux noirs en couleurs» vient dire comment l’artiste joue avec ironie et sérieux tout à la fois le rôle d’un pédagogue et d’un écolier, invitant le spectateur à tisser des liens cognitifs entre les plateaux offerts au regard et à la réflexion. C’est ici que nous vivons, dit-il. Au cœur de cette intrication entre activité économique locale et intérêts politiques globaux. Dans ce paysage où des stratégies capitalistes brutales transforment tout en poudre blanche, de la vanilline au pavot.
Au-delà d’un écho avec l’esthétique des vignettes d’une encyclopédie illustrée, les Tableaux noirs en couleurs (dont certains sont monochromes, comme en attente d’une représentation) veulent retrouver le souffle généreux du projet moderniste. Il s’agit de faire image de toutes les connaissances pour tenter de comprendre la réalité du monde actuel, forcément «complexe ». La facture académique des tableaux affirme que l’activité artistique est toujours à réinventer : l’artiste peint comme un bon élève, en chargeant ses images d’une nécessaire durée.
Deux mondes s’entrechoquent à distance et composent l’environnement mental conflictuel de l’exposition : le monde ouvrier et celui des puissants, patrons et politiques. La bande-son est donnée par une vidéo montrée dans l’espace de documentation du centre d’art, sorte de clip révolutionnaire pour la chanson Rhodiaceta de Colette Magny, mise en image en 1967 par le groupe Medvedkine de Besançon à l’occasion de grèves qui annonçaient mai 68. Le son se diffuse dans les espaces d’exposition et s’oppose à une salle sombre au centre de laquelle trône une table trou noir comme un vortex autour duquel apparaissent les portraits des dirigeants des quatre plus grandes puissances mondiales, comme des comploteurs. Tout au fond de l’exposition, dans l’artothèque, parmi des Å“uvres destinées à une diffusion démocratique de l’art, figurent face à face deux hommes d’affaires français impliqués dans l’économie artistique, Maurice Lévy et François Pinault. Dans la pénombre, la reproduction de leurs portraits officiels à la craie leur donne un air lugubre. Vanité ultime, ou infamie salutaire, la craie programme irrémédiablement leur image à se ternir. […]

Les Tableaux noirs en couleurs ne sont ni une déploration ni une résignation. Mais bien plutôt une affirmation de l’intrinsèque liberté de l’activité artistique, entendue comme lieu de production intellectuelle et pas seulement formelle. Affirmation de la nécessité de se frotter aux régimes de représentation et d’autorité contemporains. Affirmation de la possibilité pour l’artiste de se comporter autrement qu’en servile illustrateur des pouvoirs du temps présent. Lenjeu n’est rien moins que celui d’une réappropriation par l’art de son rôle de contre-pouvoir symbolique dans la société. »  — Pascal Beausse

Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition «Tableaux noirs en couleurs» de Niek van de Steeg qui a eu lieu au Centre d’Arts plastiques de Saint-Fons, du 27 janvier au 3 mars 2007.

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