Richard Fauguet
Ni vu, ni connu
Une exposition dont l’épine dorsale est le dessin
Depuis vingt-cinq ans, Richard Fauguet a rempli des dizaines d’albums, de carnets, de bandes dessinées, de vignettes Panini, de collections de photographies et d’images de presse, etc. d’expérimentations graphiques de toute sorte: collages, tamponnages, caviardages, frottages, dessins au feutre, au bic, au correcteur, au crayon, à la plume, au pastel, à la pâte à modeler, au scotch.
De ces expériences souvent compulsives -où on retrouve à la fois l’invention d’un Picasso, les obsessions d’un Max Ernst et le trait cinglant d’un Willem- naîtront des séries, des agrandissements, des sculptures de plus ou moins grand format, des environnements… et même un économiseur d’écran.
Plutôt que de compiler ses divers registres graphiques dans un cabinet de dessins, comme ce fut le cas jusqu’ici, l’exposition « Ni vu, ni connu » entend déployer la richesse de l’oeuvre à partir du graphisme comme un fil rouge.
Dans chacune des salles, la présence d’au moins un dessin permet une articulation nouvelle et laisse apparaître cette notion d’épiphanie chère à Richard Hamilton, dont Fauguet serait un possible héritier.
En 2008, une visite détaillée de son atelier à Châteauroux permit au critique Guy Scarpetta de dresser un portrait saisissant de l’artiste. Le critique propose de répartir l’art actuel en deux tendances: « l’une héritière de dada et du situationnisme qui veut que l’art passe dans la vie et ne produit pas d’objet, et l’autre, consciente de la saturation d’images dans laquelle se trouve le monde actuel, qui produit gags visuels et abuse des citations. Toute l’énergie «électrique» de la démarche de Fauguet se situerait précisément entre ces deux tendances opposées. »
Jeux de mots à plusieurs voix
Dans une analyse érudite publiée il y a quinze ans, Christian Besson faisait appel à la sémiotique pour proposer une lecture polyphonique de l’oeuvre. « Les périgrinations dans des mondes hétérogènes, imaginaires (art, littérature, cinéma, télévision) ou réels (Châteauroux, lieux visités en touriste, univers familial, etc.) constituent un voyage plus sémiotique que géographique qui ne se déroule pas selon le fil d’un récit univoque ».
Parmi les sources favorites de l’artiste, citons Louis-Ferdinand Céline et Antonin Artaud, mais aussi Nathalie Quintane, la presse quotidienne et l’Equipe, moins pour le texte que pour les images, la plupart du temps. Et soulignons son goût pour les jeux de mots de toute sorte, contrepétrie, anagramme, où l’on retrouve autant l’esprit pataphysicien d’Alfred Jarry, les procédés oulipiens à la Pérec que l’humour d’un Georges Audiard.
Le titre de cette exposition, « Ni vu, ni connu », en est une preuve de plus.
Art populaire
Parmi les ressources régulières de l’artiste, figurent en bonne place la salle des ventes, Emmaüs et la braderie mensuelle de Châteauroux. Attentif aux inventions de toute sorte, l’artiste peut y dénicher aussi bien des contenants en verre, des globes et des lampes diverses, des chaises en formica, des collections d’images, des canevas, et depuis quelques temps, des céramiques des années cinquante et soixante, type Vallauris.
A partir de vases, de pieds de lampe et d’assiettes décoratives, Fauguet assemble minutieusement ces objets symptomatiques de la culture française d’après-guerre et, en les renversant, fabrique des personnages. Le syndrome Picasso des trente glorieuses est revisité de manière à la fois fantômatique, mais aussi dynamique par les basculements qu’il opère, et, au final, (ridiculement) mélancolique.
Cette manière d’approcher la culture vernaculaire, même si elle demeure difficile à accepter en France, est une préoccupation majeure de l’art contemporain. Il suffit de citer l’exemple d’un Mike Kelley pour s’en convaincre.
Toute proportion gardée, l’oeuvre de Richard Fauguet, par ses fulgurances et ses incongruïtés, participe d’un même regard intuitif et attentif sur la culture populaire et fabrique, avec humour, une forme d’anthropologie contemporaine.