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PSmaranda Olcèse-Trifan
@01 Déc 2011

Après quatre années d’échanges passionnés, Fanny de Chaillé et Philippe Ramette passent à l’acte et signent derechef un geste artistique fort, véritable recherche sur les rapports du corps à l’espace et les moyens de sa représentation, work in progress jouissif qui se garde la possibilité de changer de titre et de forme au gré de son évolution.

Les familiers du travail de Philippe Ramette seront ravis de découvrir dans Passage à l’acte certaines de ses œuvres, tel le Fauteuil à coup de foudre (2001), des variantes d’autres pièces, tels le Portrait tragi-comique (2011), baptisé pour l’occasion sans titre, provisoire, et l’Ombre de moi-même (2007), appelé ici Duo narcissique, ou encore des thèmes qui traversent son parcours et nourrissent certaines de ses séries photographiques et autres créations. Ainsi, le renversement des coordonnées axiales, dans le Parcours d’escalade horizontal, le luxe de se poser et de simplement regarder le temps qui passe, dans l’Ecole de la paresse, ou encore la rébellion des objets familiers dans Le suicide des objets ou L’exploit modeste. Ses mêmes aficionados reconnaitront dans le personnage incarné avec légèreté et maestria par le danseur Sylvain Prunenec, l’alter ego de l’artiste, ce bonhomme toujours égal à lui même, impassible et un peu crispé dans son costume d’employé de bureau ordinaire, qui observe le monde depuis ses Balcons à perspectives renversées ou arpente les fonds sous-marins.
Et pourtant, Passage à l’acte n’est pas une énième exposition monographique de Philippe Ramette, après Gardons nos illusions, présentée au Mamco de Genève en 2008 ou encore après l’exposition qui a pris fin au mois d’octobre au CRAC de Sète. La chorégraphe Fanny de Chaillé est plus qu’une simple invitée qui réaliserait une création in situ. Elle s’est déjà affirmée par son goût pour le dépaysement, que ce soit à travers l’art du bunraku dans Je suis un jeune metteur en scène japonais, ou les codes du gonzo-reportage dans Gonzo Conférence. Cette envie de déplacement des perspectives, elle le partage avec le plasticien. Ils s’attirent ainsi sur leurs terrains artistiques respectifs. Et de ces continuels aller/retours et glissements formels et sémantiques nait un objet chorégraphique passionnant, d’une richesse saisissante.
Passage à l’acte ne se laisse pas appréhender d’un seul regard. La pièce déploie de multiples plans et régimes scopiques, instaure des jeux de perspectives troublantes et aménages des points aveugles, comme les toiles des maitres espagnoles. La dimension processuelle, fortement présente à même le titre, résume les tentatives sans cesse recommencées de ses deux auteurs d’apprivoiser chacun le geste de l’autre: assumer la contrainte du mouvement et intégrer le mode d’exposition «muséal». Elle donnerait peut être une meilleure clé d’entrée dans une œuvre qui exige avant tout une grande disponibilité intellectuelle et une forte implication physique de la part des spectateurs, qui sont invités à se déplacer, à circuler, à changer toujours de point de vue, à expérimenter des possibles et à remettre en question leur position antérieure.
Philippe Ramette aime à considérer son travail comme un territoire qui est, pour l’occasion, habité par la danse écrite par Fanny de Chaillé pour ses performeurs, arpenté également par un public entrainé de manière subtile dans la déambulation. Sylvain Prunenec, dont la partition s’intitule Expérimentations à l’absurde, accueille les spectateurs et assure la circulation entre les espaces, il donne la note absurde, burlesque, pourtant teintée de justesse: autant de pistes sur lesquelles s’égarer le temps de la performance. Ses injonctions seront autant de compagnons qui vont résonner dans nos oreilles, orienter notre regard et la perception que nous pouvons avoir des choses: jouer à se faire peur, du doigt à l’œil, à la recherche de l’ivresse, rattraper le temps perdu. Cette syntagme, précisément, déclenche une accélération du rythme des performeurs, chacun en prise avec un fragment d’objet chorégraphique, évoluant en duo, soit avec un partenaire en chair et en os comme dans le cas de la cordée d’escalade horizontale, soit avec un objet issu de l’œuvre de Ramette, dont le statut change subtilement d’une prothèse à attitudes à une prothèse/ prétexte au mouvement. La dernière injonction dans la série des Expérimentations à l’absurde — mise en pratique de l’empathie — parachève la mutation entre l’ordre de la monstration d’objets et la logique du spectacle vivant, et appelle aussitôt les applaudissements des spectateurs.
Il serait passionnant de s’attarder sur les manières dont chaque performeur travaille une œuvre de l’intérieur, telle le Portrait tragi-comique, de 2011, qui réunit trois points de vue et mimiques différentes et impossible à tenir simultanément. Un interprète relève le défi et la donne de la sculpture s’étale dans le temps et dans l’espace, dans l’alternance de ces expressions contradictoires. Un autre interprète, évoluant dans un cercle de lumière, tente désespérément de maitriser son ombre qui à un moment donné de sa danse commence à lui échapper. Ce Duo narcissique reprend une préoccupation relevant essentiellement du travail de sculpteur et met le principe de dématérialisation des corps, déjà présent en L’Ombre de moi-même, que Philippe Ramette réalisait en 2007, au plus vif du sujet dansant. L’abîme qui s’y creuse est vertigineux.
L’idée maîtresse de ce premier Passage à l’acte nous semble attachée à la performance de Sylvain Prunenec qui incarne la figure du funambule présente dans une installation montrée dans l’exposition du CRAC de Sète, un simple fil solidifié suspendu à 3,5 m du sol: matérialisation d’un parcours qui est en jeu et du refus de suivre un chemin droit et fixé par avance, une forme de mise en danger également. Des points d’arrêt sont pourtant possibles pour le repos, l’hésitation, la réflexion, l’observation. Ceci est avant tout une invitation à s’accorder le luxe de la déambulation.

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