PHOTO | CRITIQUE

New Photographs

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Les Nouvelles Photographies que présente Jeff Wall à la galerie Marian Goodman, sont, comme toute sa production, des hybrides assumés de document et de fiction, accusant une vacuité dérangeante, presque morbide, en dépit, ou peut-être à cause, de leur lumineuse présence.

C’est au numéro 1082 d’une avenue nord-américaine. Des jeunes filles et jeunes gens se répandent par grappes sur le trottoir, jonché de mégots et autres détritus. Ils s’échappent ainsi d’une boîte de nuit bondée, pour prendre l’air. C’est l’été. Mais l’éclairage urbain est froid: un effet de nuit américaine qu’amplifie le rétro éclairage du caisson lumineux. La scène est ainsi projetée en avant, dans toute sa banalité.
Prise sur le vif, mais à un moment en apparence quelconque, il ne s’y passe rien de remarquable. Pourtant, en arrière plan, un homme plus âgé est entré dans le champ, par la gauche. Il frôle l’épaule d’une jeune fille, un peu à l’écart, qui lui tourne le dos, et fume, le regard dans le vague.
L’homme se fraie un chemin dans cette foule animée et indifférente. Sa veste de laine, et sa chemise à motifs, détonent. Son visage est dur et fermé. Sans doute est-ce un immigré, slave peut-être, il tient d’une main quelques-unes de ces roses, emballées dans leur cornet individuel en plastique, que l’on vend à la sauvette. Deux solitudes s’effleurent un instant. La machine à fiction s’enclenche, sans lendemain ni dénouement.

Cette mise en scène, minutieusement orchestrée par Jeff Wall, est la pièce maîtresse de l’exposition de l’artiste chez Marian Goodman, imposante par sa présence, ses dimensions et son potentiel narratif. Les autres œuvres sont en effet plus modestes, dans leur volume et leur propos: des voitures parquées à l’arrière d’un bâtiment de béton nu en forme de cône; une femme, vue de dos, qui feuillette des catalogues chez Christie‘s; la tache rouge d’un coquelicot dans un jardinet; la fenêtre aveugle d’un entresol couverte de poussière; et, dans une pièce exiguë, encombrée de meubles disparates et de bibelots, trois très vieilles dames qui jouent aux cartes en prenant le thé. Des moments suspendus ou improductifs, des envers de décors, qui tressent une trame narrative lâche, dont le fil rouge serait la fuite du temps, inéluctable et silencieuse.

Ces Nouvelles Photographies, qui, comme dans toute la production de Jeff Wall, sont des hybrides assumés de document et de fiction, accusent une vacuité dérangeante, presque morbide, en dépit, ou peut-être à cause, de leur lumineuse présence.

English translation : Laura Hunt

Jeff Wall
— Card Players, 2006. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 118 x 150 cm.
— Poppies in the Garden, 2006. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 95 x 118 cm.
— A Woman consulting a Catalogue, 2005. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 167 x 135 cm.
— In Front of a Nightclub, 2006. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 229 x 364 cm.
— Rear View, Open Air Theatre, Vancouver, 2005. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 200 x 300 cm.
— Blind Window n°3, 2006. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 40,2 x 51 cm.
— Basin in Rome 1, 2005. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 31 x 31 cm.
— Basin in Rome 2, 2005. Ektachrome, caisson lumineux, tubes fluorescents. 31 x 31 cm.

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