Avec sa nouvelle série de photographies, Jim Dine propose une conception originale de l’autoportrait en combinant sur une seule vue des portraits de ses proches, des objets familiers et des reproductions de ses anciennes peintures. Il réalise ainsi des images complexes, sortes de mises en abîme de son travail et de sa vie.
La fluidité avec laquelle les éléments de l’image s’enchaînent et se superposent définit un espace hétérogène et flottant dans lequel les plans se confondent. Un montage combinant effets de superposition et d’éclairage dissout les rapports spatiaux entre les objets que Dine agence en un jeu de libres associations. Nombre de ces montages photographiques peuvent être appréhendés comme des vanités modernes où se lisent la nostalgie du temps qui passe.
Dans The Boy Who is Craking, une figurine de Pinocchio occupe le centre de l’image. Le cadrage très resserré la fait déborder du cadre et focalise notre regard sur la surface usée du jouet dont les couleurs vives se sont craquelées avec le temps. Dans une autre photographie intitulée Edge of the Dream, le visage poupin de Pinocchio nous regarde fixement, et son expression lisse et figée contraste avec celle du visage souriant de Dine qui apparaît à l’arrière plan. Cette figurine qui se retrouve dans trois compositions différentes renvoie aux souvenirs d’enfance, et son usure au vieillissement de l’artiste.
Ces images photographiques prennent aussi la forme du double portrait, sans doute parce que c’est essentiellement le regard de l’autre qui nous constitue en tant que sujet. Dine réalise ainsi une série qui combine la photographie de son visage avec celle de sa petite fille Nina. La composition se lit de gauche à droite, dans un mouvement oblique qui conduit du visage de Dine à celui de sa petite fille. D’une expression à une autre, les yeux rieurs et les sourires se répondent en un jeu de miroir où passé et avenir se télescopent.
Dans une autre photographie, le même portrait de Nina est mis en relation avec un célèbre autoportrait que Dine a dessiné dans sa jeunesse. Ce dessin occupe toute la moitié droite du tableau et le portrait de Nina la moitié gauche. Au centre, un barrage de fleurs séchées, collées au support avec de gros sparadraps et traversant l’image sur toute sa largeur sépare totalement les deux images. Alors que la première série rapprochait les deux visages par un jeu d’analogies, cette autre empêche toute possibilité de renvois dynamiques d’une image vers une autre. Dine insiste ici sur la rupture, sur le caractère infranchissable des années qui le séparent de l’enfance.
Ces même images apparaissent encore dans d’autres compositions, couplées avec d’autres objets, jetées dans de nouveaux réseaux de relations. Ce recours à un ensemble limité d’objets sans cesse recombinés varie de manière semblable aux inflexions de la pensée ou aux changements d’humeur : un élément en valeur dans une photographie devient anecdotique dans une autre, un objet placé au centre d’une composition passe ailleurs à la périphérie.
Ces combinaisons traduisent en fait des émotions changeantes. Si toute forme de réalisme psychologique ou de représentation trop intimiste de soi est évacué, l’ensemble de ces images n’en demeure pas moins profondément lié à la subjectivité de Dine.
Dans une autre série, c’est avec le visage de sa femme qu’il couple le sien. Une diapositive du portrait photographique de Diana est projetée sur un mur et Dine s’inclus dans le champ de cette image en passant sa tête de l’autre côté de l’objectif lors de la prise de vue. Le visage de Diana paraît lointain, comme surgi d’une époque antérieure tandis que celui de Dine apparaît en un flou indiquant l’instantanéité du mouvement.
La démarche pourrait en fait être assimilée à un travail de reprise : les souvenirs personnels voisinent les productions anciennes et certaines caractéristiques formelles apparaissent comme autant de clins d’œil à des problématiques picturales antérieurement développées. Les fleurs séchées, présentent dans de nombreuses photographie, évoquent le pinceau, une composition organisée en fonction de l’embrasure d’une porte renvoie à la problématique du châssis, très présente dans son travail pictural.
Par un dispositif complexe de construction de l’image, Dine nous projette d’emblée dans un espace subjectif ou l’agencement des objets obéit aux caprices de la mémoire et du désir. Composées en plusieurs strates, avec parfois des photographies de photographies, les images du passé sont réactivées dans une vision nouvelle. Son visage qui entre souvent comme par effraction dans le champ de la composition est la marque de cette actualité.
Jim Dine
— Little Fragile Sword, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 81 x 94 cm.
— The Boy Who is Cracking, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 98,4 x 76,2 cm.
— Gottingen, Xmas, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 92,4 cm.
— Fire on Jane Street, 2004. épreuve chromogène montée sur aluminium. 76,2 x 98,4 cm.
— Edge of the Dream, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium.
— Lavender Studio, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 92,1 cm.
— The Speed of Noise, 2004. Tirage argentique montée sur aluminium. 97,8 x 123,2 cm.
— Nina and Me, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 93 cm.
— A Song Tearing the Air, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74 x 91,5 cm.
— Nina, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 93 cm.
— Yellow Hammers, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 92,4 cm.
— Diapositive, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 114 x 126,4 cm.
— June from Long Ago, 2004. Tirage argentique monté sur aluminium. 122 x 107 cm.
— Untitled (Jim Drinking), 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 125 x 125 cm.
— Untitled (Jim Behind Plants), 2004. épreuve chromogène montée sur aluminium. 125 x 141cm.
— Orchid #1, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 76,2 x 91,1 cm.
— Orchid #2, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 92,1 cm.
— Four Kinds of Black, 2004. tirage argentique monté sur aluminium. 109,9 x 134 cm.
— Diana in White Light, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,6 x 99,1 cm.
— Hand and Us, 2004. Epreuve chromogène montée sur aluminium. 74,9 x 92,4 cm.
— June, 2004. Tirage argentique monté sur aluminium. 102 x 92 cm.