Communiqué de presse
Clarence John Laughlin, Alex Harris
New Orleans: mythes, ruines et chaos
La Nouvelle-Orléans est élégamment ruiniforme, objectivement chaotique, délicieusement décadente, fiévreusement sensuelle… À l’égal de la Louisiane, dont elle est l’emblématique capitale.
Prenez la photographie, libérez son champ d’action le plus efficace, celui de l’enregistrement des traces en voie d‘effacement, dont la nostalgie ne cesse d’infuser les rêveries du présent: c’est bien ainsi que fonctionne l’artiste louisianais Clarence John Laughlin (1905 –1985).
Entre le milieu des années 1930 et le début des années 1960, le voici théâtralisant de toutes les façons, mettant en scène avec les plus étonnants protocoles, son inaltérable regret d’un monde écroulé, celui d’un Sud rayonnant, cultivé, porteur de valeurs dont Laughlin ne cesse d’enregistrer l’inéluctable effondrement dans les temps modernes.
Nourri de l’esthétique baudelairienne, cet «explorateur des ruines», selon la belle formule de John Lawrence, constate, un peu comme dans la fameuse «Maison Usher» d’Edgar Poe, la destruction lente d’une ville à l’admirable passé, et qu’il hante, dans tous les sens du terme, pour tenter d’en conjurer par ses images la déliquescence architecturale et culturelle.
Dans l’imagerie hallucinée des femmes qu’il met en scène, apparitions voilées ou dénudées au sein de décombres funèbres, ne faut-il pas voir les figures d’une rédemption possible ou bien, au contraire, celle d’un deuil définitif?
Ville-femme, la Nouvelle Orléans photographiée par Laughlin, cet «oeil qui ne dort jamais», selon ses propres mots, est en état de catastrophe permanente, le seul qui puisse, au fond, inspirer l’attitude surréaliste à laquelle, par toutes ses images et ses aspirations, Clarence John Laughlin appartient de haute main.
Catastrophe culturelle? Mais la Nouvelle-Orléans vient récemment d’en subir une aussi grave, immédiatement désastreuse, celle de l’ouragan Katrina qui, le 29 août 2005, la ravage cruellement. Autre champ de ruines et de désolation dont la ville, 5 ans plus tard, peine à se remettre. Il ne s’agit plus, dans ce cas, d’un effondrement symbolique, d’un chaos de valeurs menacées.
La disparition physique d’une partie de la Nouvelle-Orléans devait solliciter, dans l’urgence, l’enregistrement documentaire, ce qui fut largement réalisé. Alex Harris présente ici, et pour la première fois, une série de tryptiques en couleurs, réalisée volontairement 6 mois après le passage du cyclone, alors que le recul permet de mieux ajuster la portée matérielle des dégâts, et leur évaluation symbolique, en pleine résurrection printanière si propre à cette partie subtropicale du Golfe du Mexique.
La démarche d’Harris est un contrepoint factuel, dans le plus pur style documentaire contemporain, au lyrisme exacerbé de Laughlin. Et pourtant, ce sont les mêmes motifs de la disparition qui, chez Laughlin ou Harris, font signe à notre mémoire comme si, appelés à disparaître, du fond d’une ville toujours prête à renaître de ses ruines, ils sollicitent l’attention des survivants que nous sommes, en un pèlerinage ambigu, entre espoir et mélancolie.