Le titre de «New Figures» pourrait apparaître comme un paradoxe pour les observateurs les plus sceptiques du travail de Richard Prince. Car l’art d’«appropriation», dont l’artiste américain est l’une des figures de proue, est-il véritablement un art, dans le sens où l’art serait censé créer des formes nouvelles, inédites, au lieu de récupérer des images ou des fragments d’œuvres préexistantes, créés par d’autres? En se «réappropriant» le travail des autres, ne se contente-t-on pas de le plagier? Ne devrait-on pas plutôt créer à partir de ses propres idées et de sa propre iconographie, qui ne serait comparable à aucune autre?
Pour trancher le débat, ou contrer les procès de mauvaise intention que l’on a coutume de lui faire, Richard Prince se plait à évoquer la figure tutélaire de Pablo Picasso, rappelant que le peintre espagnol s’est fortement inspiré de certains artistes ou de certaines de leurs toiles tout au long de sa carrière, dont Le Greco, ou bien encore Le Déjeuner sur l’herbe de Manet pour Les Demoiselles d’Avignon. Dès lors, l’art ne serait que la réactualisation d’une tradition picturale que l’on se réapproprie et que l’on réinterprète à sa façon.
Ainsi, l’œuvre de Richard Prince est connue du grand public pour avoir puisé dans l’iconographie des magazines masculins, y récupérant les fameuses publicités des cow-boys Marlboro, des images de BD, des blagues, ou des photos de charme. Tout son art consiste alors à retoucher ou découper ce matériel iconographique préexistant, afin de composer une œuvre critique envers la société de consommation et les signes qu’elle manipule.
«New Figures» revendique également ce même geste artistique: Richard Prince réutilise des images érotiques issues de la presse masculine, détournant leur sens premier et leur prêtant une nouvelle signification. En effet, les nus érotiques que recycle Richard Prince sont scannés et imprimés sur une toile puis retravaillés soit à l’acrylique, soit au carbone. En réemployant des images dans un nouveau contexte, il leur confère ainsi une portée inédite. Mais alors que ses travaux antérieurs parodiaient ou pastichaient l’imagerie populaire, Richard Prince rend désormais hommage aux grands maitres de la peinture, dont Picasso, à travers le détournement de cette iconographie pop.
Les modèles de «New Figures» ont des poses suggestives. Leurs corps se tiennent allongés, agenouillés, accroupis. Mais certaines de leurs parties se trouvent recouvertes d’un cache sur lequel Richard Prince a recomposé les membres masqués. Il fait ainsi entrer en collision deux plans, deux univers: l’un photographique et érotique, l’autre pictural et artistique. Les zones masquées se trouvent réinventées, particulièrement les visages, les seins, les mains, les sexes. Elles perdent ainsi leur charge érotique initiale. On remarque par exemple que les visages sont remodelés comme des profils cubistes, présentant plusieurs vues simultanées sur la surface de la toile. Les tétons apparaissent également comme des cubes, des dés ou des rustines. Cet hommage à Picasso se prolonge dans la manière dont Richard Prince redessine les mains des modèles. En effet, celles-ci ont la même morphologie que les mains des «géantes» du maitre espagnol (on peut notamment penser aux deux figures du Train Bleu).
«New Figures» présente aussi de grandes toiles aux tonalités grises composées à l’acrylique. Ces œuvres fonctionnent sur le même principe cité précédemment: retravailler des images scannées et imprimées à même la toile. Cependant, les visages des modèles sont systématiquement effacés par de grands coups de pinceaux. Dès lors, nous avons affaire à de purs corps dégageant une grande force physique. Les seins, les hanches et les fesses sont conservés comme seuls attributs de la féminité, de la sensualité ou de la sexualité. Les mains et les pieds sont immenses, encore plus grands que les mains picassiennes des œuvres précédentes. Les bras et les jambes apparaissent souvent comme des cônes gigantesques. Ils deviennent carrément éléphantesques. Les corps sont décuplés.
La nudité crue des modèles se trouve ainsi estompée par des aplats de peinture gris ou des caches sur lesquels viennent s’apposer des lignes cubistes. Richard Prince réinvente les contours des corps, retrace leur courbe, ou les épaissit à partir des hanches, des fesses et des cuisses, pour les transformer en d’étranges créatures pachydermiques. Entre figuration et abstraction, les corps de «New Figures» se déconstruisent et se recomposent, s’effacent et se redessinent, transcendant la plasticité banale et familière des photos de presse masculine et de leurs icônes érotiques.