Monde sensible et monde intelligible se frottent et se dévoilent à la galerie Nelson-Freeman. La photo, que Jan Dibbets manipula dès les années 60, est ici en effet autant outil philosophique que médium plastique. Il y a même quelque chose de platonicien dans ses images de reflets et de lumières.
Le plasticien hollandais utilisa, au départ, la photo pour conserver une trace visuelle de ses installations éphémères de land art, mais très vite il transcenda l’essence même du médium. Dans une sorte de mouvement elliptique ses photos, par principe enregistreurs de lumière (photo-lumière et graphie-dessin), sont donc devenues celles d’éclats lumineux, de cieux, de fenêtres ou d’objets brillants.
L’exposition «New Colorstudies 1976-2012» concentre, quant à elle, exclusivement des plans serrés de reflets sur des capots rutilants. Un premier ensemble, quatre petits formats carrés de 1976, présentent quatre versions colorées de ces surfaces, en mauve, orange, bleue puis prune. La couleur élément signifiant par excellence confère alors à chaque image une personnalité différente. Les autres photos, bien que datant de la même époque, n’ont, elles, été tirées qu’en 2012. Dans les années 70 développer un grand format en couleur était en effet très compliqué voire quasi-impossible… Le reste de la série ne sera donc visible que 36 ans après sa conception, imprimée sur papiers éclatants de brillance comme la surface métallique, cette peau d’automobile, ce sujet emblématique.
Objet mythique de l’Amérique des seventies, la voiture fascina en effet nombre d’artistes dont les peintres hyperréalistes Don Eddy ou Richard Estes. Jan Dibbets en fera néanmoins un portait bien plus radical.
Il choisit d’abord le très gros plan pour donner à voir ces capots sous un nouveau jour. Ainsi recadrés, des paysages abstraits pleins de lignes sinueuses prises dans des tâches de lumière apparaissent. Aux reflets incertains du monde extérieur viennent se mêler écaillures, cicatrices et autres craquelures de peinture et la texture presque palpable du métal.
Les teintes sont franches, les zones à peine floutées. L’ infinité des nuances, les couleurs vibrantes, les contrastes cinglants crées également une multitude d’émotions. Formellement on retrouve les thèmes plastiques chers aux impressionnistes, la captation de la lumière, du mouvement et la puissance sémantique de la couleur. Mais il s’agit là plutôt d’une nouvelle forme de post-impressionnisme où «post» prendrait le sens de «au-delà » et non d’«après» et «impression» celui de «perception»… un au-delà de la perception.
Telle une synecdoque où le détail exprime le tout, la surface devient chez Jan Dibbets monde réel et monde reflété, symbole de son désir fou de montrer LA vérité en toute objectivité. Jan Dibbets pointe ce qu’il y a à voir et non ce qu’il y a à comprendre, au-delà des étiquettes et des à -priori qui définissent toujours trop basiquement le monde. Ses clichés connotés, typiques d’une société et d’une époque révèlent cependant l’impossibilité d’une vision neutre, d’un regard dénuée de culturel.
Pour ce photographe du concret une chose est donc certaine : le réel est pure abstraction. Ses images transportent ailleurs, loin d’un monde connu… dans le vrai, au-delà des ombres de la caverne platonicienne. Sa photo plasticienne et conceptuelle n’en finit ainsi pas d’explorer l’idée d’idée et l’idée d’art…