La pièce s’ouvre de manière sculpturale, comme dans un enchantement. Des nuages de fumée flottent sur la scène, évoquant un au-delà paisible, dans un climat propice à la fantasmagorie. C’est un appel, un élan qui nous prie de nous élever et de nous émerveiller, pour permettre une acceptation sensible et collective de la beauté silencieuse du monde. Nous découvrons des ombres portées derrière un écran qui, par un phénomène de diffraction, viennent s’inscrire dans les éclats de l’eau. Ces quelques minutes de ravissement résonnent comme une préface, ou une note d’intention à l’usage du spectateur, afin de lui signifier son passage vers un autre espace-temps. Puis la pièce commence et la neige se met à tomber pour se déployer durant toute la création.
La neige est effectivement un élément central de l’œuvre. Présente pour elle-même, comme matière qui, dans sa forme et ses images, provoque l’envoûtement et la fascination. Pourquoi la neige évoque t’elle si spontanément la sérénité ou la mort ? Une pureté naturelle émane d’elle. Par sa couleur et sa texture évanescente elle incarne une substance intrinsèquement poétique.
Le propos de la pièce ne nous interroge pas plus qu’il vient se nourrir de cette certitude. La scénographie rappelle ces boules souvenirs que l’on retourne pour contempler la neige tombant sur un monument historique. Une vitre transparente isole la scène et les danseurs du public. Michèle Anne De Mey, entourée de son équipe, expérimente et innove. Ayant posé ce décor, grâce à un dispositif tout à fait maîtrisé, elle interroge les errances d’une humanité confrontée sans cesse aux fluctuations météorologiques, allégorie de l’éphémère et de la fragilité de nos existences. Des quelques flocons légers à la tempête, pris dans une sorte d’irréalité, entre torpeur et fantasme, entre mystification et abstraction, Neige se déploie selon une dramaturgie nourrie de romantisme. L’écriture chorégraphique se révèle dans une installation où l’artifice est mis au service d’un accomplissement sensible du corps.
L’ouverture de la pièce avec la VIIe Symphonie de Beethoven est suivie de thèmes musicaux volontairement naturalistes, introduisant le bruit des canons, le son des cloches. Une drôle de guerre se joue là . Nous y assistons, impuissants. Les danseurs s’effondrent sur le sol, entre douceur et fatalité, dans une sorte d’espace intermédiaire. La terreur nous saisit quand viennent résonner les coups de feu. L’épuisement, la folie saisissent les corps à vifs, comme dans un naufrage. Les corps s’exaltent, se blessent, chutent et se relèvent, possédés par une force naturelle qui les transcende. Une femme est tirée par deux autres interprètes, se livrant une bataille éperdue durant laquelle ils se disputent ce corps inanimé. Une autre danseuse, fascinante, laisse sentir une âme blessée mais exigeante, à la recherche d’un chemin vers la libération. Ou encore, une figure proche des divinités polaires, source de fascination et de mystère, vient exalter cet univers.
Face à cette source ininterrompue d’images fantasmagoriques, la formalité des représentations donne une tonalité policée et prévisible à la pièce. Il manque un second phrasé, qui aurait permis, en créant le contraste, dans la matière ou l’écriture, d’éviter l’essoufflement.
— Chorégraphie : Michèle Anne De Mey
— Assistant à la chorégraphie : Grégory Grosjean
— Scénographie et costumes : Sylvie Olive
— Lumière : Nicolas Olivier
— Musique : Ludwig Van Beethoven (Symphonie n°7 en la majeur)
— Créé avec et interprété par : Gabrielle Iacono, Gala Moody, Kung Hee Woo, Ashley Chen, Leif Federico Firnhaber, Adrien Le Quinquis