Martin Szekely présente son travail simultanément dans deux expositions parisiennes. Un état des lieux qui pose les moments forts d’un work in progress entamé dès les années 80.
Au centre Pompidou il expose une pièce emblématique de ses débuts, le fauteuil Pi (1983) qu’il avait à l’époque souhaité réaliser en fibre de carbone. Il avait déjà l’intuition que son ADN créatif serait lié à la matière technologique. Son œuvre se perd dans les années 80 et au début des années 90 dans les errances de la narration. Il revient dans le droit fil de l’esprit du design en 1996 amorçant un virage fort et sans concession qui depuis lors n’a cessé de se confirmer.
Deux lieux pour un même discours, Martin Szekely développe dans le silence de son atelier une syntaxe qui est implicitement liée au champ du design industriel, il développe l’idée générique du processus de design: la notion de projet, de dessein, de brief de l’objet «origine, définition, mise en œuvre et destination». Une réflexion fonctionnaliste qui s’inscrit dans l’histoire d’une discipline issue de la deuxième révolution industrielle au milieu du XIXème siècle. Le titre de l’exposition au centre Pompidou Ne plus dessiner inscrit en creux l’idée du design moderne.
Les innovations techniques, technologiques inspirent le projet, son choix se porte en particulier sur le choix des matériaux. Ce «veilleur technologique» propose une palette inhabituelle avec un emploi de la fibre de carbone, du nid d’abeille d’aluminium, du béton Ductal, du liège, du Corian… sans concession il met en avant les qualités fonctionnelles, le grain de la matière, la couleur.
Avec Units à la galerie Kreo, il réinvente l’usage du plâtre que l’on attribue plutôt au métier de l’ornement avec le stucage, le moulage. Il en exploite les qualités techniques et fonctionnelles et invente une paradoxale destination. Il met en avant la douceur, la blancheur, la plasticité pour composer des éléments moulés combinables. Ces éléments de construction en plâtre, inspirés de l’architecture de Mies van der Rohe, croisent les plans de verre et de plâtre dans une combinatoire minimaliste. En contrepoint, des colonnes arrondies d’éléments empilés à tiroirs, évoquent le remarquable designer Joe Colombo et ses combi-centers.
Dans l’espace de l’exposition du centre Georges Pompidou, Martin Szekely met en évidence la fonction de l’objet. Rythmant l’espace de leurs lignes de force horizontale, verticale, montants, plateaux étonnent par leur finesse, leur subtilité. Les formes fonctionnelles: étagère, tabouret, console, table basse, table de milieu, apparaissent quasiment dénudées. A la façon d’un dessin technique, d’un dessin filaire, l’identification est induite par la logique constructive, les hauteurs, les largeurs, les profondeurs. Les volumes posés en dehors d’un contexte domestique sont abstraits et expriment des propositions ouvertes, comme des logiciels libres du mobilier.
Martin Szekely propose une expérience sensorielle déroutante, il élabore un voyage dans un temps suspendu, la visite invite à la contemplation, rien de trop, une épure, un raffinement. L’impression qui se dégage de cet ensemble ressemble à une ivresse, il invente un espace léger, une sorte d’antimatière, la couleur est indéfinissable et suscite une perte de repère sensoriel.
Il invente une science de l’universel, du pérenne, de l’intemporel une école exemplaire de modernité. Cette exigence du designer est sans compromission, le seul regret est que la production n’existe que dans le cadre de la galerie.