Véronique Ellena
Natures mortes
“L’idée fondamentale de la série est de chercher ce lien, ce moment de transition, durant l’espace d’un instant, entre la vie et la mort. C’est aussi de montrer très frontalement une mystérieuse, triste et cruelle beauté.” (Véronique Ellena, au sujet de la série “Natures mortes”)
Pour sa troisième exposition personnelle à la Galerie Alain Gutharc, Véronique Ellena présente une nouvelle série de photographies intitulée “Natures mortes”. Cette série a été réalisée lors du séjour d’un an de l’artiste à la Villa Médicis à Rome (2007-2008).
Au terme de cette résidence, Véronique Ellena y a exposé une sélection d’oeuvres et un nouveau catalogue centré sur les “Natures mortes” a été publié.
“Natures mortes” prolonge les séries précédentes “Ceux qui ont la foi” (2003) et “Paysages” (2005-2006) par l’interrogation du photographe sur l’état de transition. Celui du passage d’un état de pleine beauté à celui de l’altération, de la destruction, de la disparition.
Cependant cette altération du vivant n’est pas encore visible. Elle va avoir lieu, sous une forme ou une autre mais ne nous est pas montrée. Il nous incombe de la deviner, de l’anticiper, de la saisir, de l’imaginer, ou, de la craindre et la redouter.
Rien de baroque, rien de symbolique dans la composition de l’image : un fond, un support, un objet. La frontalité de la prise de vue ne s’encombre pas d’artifice et la recherche du sensible est la seule à déterminer l’aspect de l’image.
Le travail photographique de Véronique Ellena se construit avec une certaine lenteur à l’opposé de la boulimie visuelle de notre temps. Elle utilise la chambre photographique, outil “classique” qui implique une réflexion préalable à la prise de vue…
Ses photographies ne peuvent donc pas être le fruit du hasard ou de la désinvolture puisque chacune doit être préparée, pensée. Le résultat se dévoile lorsque le négatif est développé. Trop tardivement pour revenir sur l’image, la refaire, la ressaisir. Il n’y a pas la profusion de prises de vues que permet le numérique qui laisse la liberté de tri et augmente les chances de “belle photo”.
La beauté photographique n’est pas, d’ailleurs, sa préoccupation première. Ce qui l’intéresse, la motive et la pousse à attraper le réel, c’est une quête. La quête d’un moment de grâce. Mais cette grâce n’est pas non plus une grâce de l’exception, plutôt celle du quotidien, d’un quotidien que l’on néglige habituellement et qui chez elle recèle un certain mystère.
“Les murs de l’atelier de Véronique étaient inondés de sentiments. Oublions la technique, la grande technique de l’artiste elle est là, présente, mais elle ne se montre pas, elle n’existe plus. Les appareils, les pellicules, les outils n’existent plus.
Sur les photographies transparaît seul le mystère de la vie transposé par le regard et l’intelligence. Véronique donne sa vie à son oeil et à son coeur, passe ses nuits et ses jours à ausculter le monde, à le regarder, à refaire vivre toute chose, à refuser la mort, à l’effacer, à redonner aux minutes et aux secondes l’épaisseur des siècles.
L’eau et la poussière lui servent de filtres. Dans son oeuvre tout se tient, tout se rejoint. L’infiniment petit se déguise en infiniment grand, l’humidité et la sécheresse inventent un étrange pays tourné vers un soleil que l’on ne connaît pas, une sorte de boule d’espérance enfouie au fond de nous-mêmes.
Toute la force, la flamme des photographies, de l’art de Véronique sont dans cet effacement visible, dans ce compte rendu imperturbable des jours. Sa vie est un carnet de voyage autour de la vie. Elle possède en elle le secret de faire renaître ce qui semble prêt à être englouti.” Richard Peduzzi. Rome, le 23 septembre 2008
“Chaque objet devient infiniment abstrait et puissamment réel : insaisissable et tactile. Il est unique, icône sacrée, qui résume tout des corps photographiés. Symbole, il est aussi finitude, accident, matière périssable, putréfiable. La photographie de Véronique Ellena donne la preuve que ces corps ont été, qu’ils sont et que, par l’image, ils seront toujours, mais que paradoxalement plus rien ne sera.
Ces images de mélancolie s’immiscent, s’introduisent dans l’intime de notre mémoire. Le lapin mort, l’oiseau blessé, le poulpe visqueux, les gâteaux à la croûte charnue, se font l’écho mystérieux de nos chagrins, de nos répulsions et de nos désirs d’enfant : premières blessures et premiers plaisirs, où se dit discrètement la nostalgie de la chaleur maternelle.
Elles invitent à se regarder, à glisser un instant de l’autre côté du miroir, à s’abîmer, à se laisser porter dans l’univers des songes, des images floues, des lointains souvenirs. L’image se retourne en nous, nous retourne. Elle questionne l’existence, nos désirs d’enchantement et d’exorciser la mort : colloque solitaire.” Mickael Szanto (“Natures mortes, mémoire de vie, miroir de la mort”)