Jennifer Allora, Guillermo Calzadilla, Tony Cragg, Willem de Rooij, Wolfgang Laib, Adriana Lara, Richard Long, Jean-Luc Moulène, Gabriel Orozco, Anri Sala, Alain Séchas, Reena Spaulings, Wolfgang Tillmans, Andy Warhol
Nature morte vivante
Représentation d’objets naturels inanimés dans une célébration épicurienne chez les Grecs, récupérée par la symbolique chrétienne (apparition des vanitas), la nature morte incarne surtout la peinture bourgeoise et réaliste au XVIIe. Longtemps considérée comme l’échelon le plus mineur, pour ne pas dire vulgaire, dans la hiérarchie de l’art académique, elle fut réhabilitée au XIXe et surtout au XXe par l’avant-garde cubiste mais aussi par les Surréalistes. Une toile de 1956, emblématique du mysticisme nucléaire de Dali (et conservée au Dali Museum de St Petersburgh en Floride) porte le titre de Nature morte vivante. On y retrouve, en lévitation, et de manière purement accidentelle, plusieurs des motifs présents dans cette exposition.
Si la nature morte reste synonyme de peinture facile, commerciale, séduisante et ambiguë (cf. les huîtres de Reena Spaulings d’après une photo de Roe Ethridge), elle peut aussi apparaître comme l’antécédent du readymade. L’arrangement de fleurs, sorte d’ikébana contemporain, est ainsi revisité par Reena Spaulings (la peinture d’un bouquet, prête à offrir). On le retrouve concrètement dans une sculpture de Willem de Rooij (qui n’ignore rien de la tradition de la nature morte flamande et qui associe deux espèces de tulipes à l’antagonisme symbolique dans un bouquet toujours renouvelé pour ne jamais faner). Tandis que Jean-Luc Moulène a «dénaturé» des plantes aperçues dans un «village fleuri»: en posant un fond coloré derrière chacune, il les a fixées comme des photos de studio.
La photographie est en effet un médium tout indiqué pour la nature morte. Le cadrage photographique peut ainsi isoler des «tableaux» constitués dans la nature, où l’oeil de l’homme — et non sa main — est intervenu dans la composition (Gabriel Orozco ou Anri Sala). Il en est de même pour les natures mortes abstraites du réel par Wolfgang Tillmans. Chez Andy Warhol, les dessins stylisés, d’après une composition réalisée et photographiée au préalable par l’artiste, sont à la fois des oeuvres à part entière, et une étape intermédiaire vers la reproduction mécanique sérigraphiée.
Inversement, d’autres artistes recomposent la nature réelle avec des matériaux symptomatiques: Adriana Lara crée un fruit en plastique démesuremment agrandi (un «accessoire» pour un film). Moulée, figée (pour ne pas dire sexualisée) dans le béton, la nature morte composite et urbaine de Moulène incarne l’image même du grain photographique. D’autres artistes encore prélèvent la matière première vivante: Reena Spaulings immortalise les traces d’un dîner de vernissage fantôme sur des nappes devenues tondo. Tony Cragg opère un retour à la nature en recomposant un arbre à partir d’éléments de bois manufacturés, utilisés, et abandonnés. Wolfgang Laib récolte à la main du pollen de fleurs qui devient sculpture en action (Montagnes de pollen) ou en attente (Bocaux de pollen).
Irisée, la tache d’huile de moteur mêlée à de l’eau d’Allora & Calzadilla devient l’emblème de son emprise conflictuelle, planétaire. Finalement, Richard Long nous propose une nature morte conceptualisée: sur un axe vertical, une colonne de mots décrit un paysage composé de tous les éléments que son oeil rencontre en tournant sur lui-même sur 360°.