DESIGN | CRITIQUE

Natura design magistra

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@06 Mai 2009

Jeu de mots, jeu d’échelle, Hella Jongerius nous promène dans son univers imaginaire avec un aplomb extraordinaire. Séduit, Didier Krentowski se laisse envahir par la démesure de cette étoile de la galerie Kreo. 

« Natura design magistra » un titre qui fait référence à l’irrésistible attraction de la nature — un design qui prend pour guide la nature — ou bien une évocation du Musée d’histoire naturelle d’Amsterdam, Natura artis magistra, le mot artis ayant été habilement remplacé par le mot design. Hella Jongerius sait placer son travail au centre d’une recherche documentaire précise et archivée. Elle déploie dans la galerie deux nomenclatures naturalistes.

La première est une série de vases (21 modèles différents), qui sont des combinatoires aléatoires toutes différentes, sorte d’écriture mathématique de signes, génétique étrange de formes et de matériaux divers. Vase en verre, pots de terre, papier de boucher, papiers collés, papiers collants, du blanc, un point de rouge … l’inspiration d’une créatrice à l’humour décapant, qui propose des fleurs en verre soufflé, des tiges de plastique qui s’épanouissent en corolle, des feuilles en tissu et des toupies de bois bourgeonnantes qui garnissent des vases envahissants et fuyants sur le sol de la galerie.

Une installation met en scène trois vases et une table, une nature morte rythmée à la façon des lignes en mouvement d’une œuvre de Kandinsky. Hella Jongerius joue sa partition avec la rigueur et la précision de l’horloger, selon une logique intangible. Cette frise de vases est balancée par une autre présentation en contre-point.

Une invasion de la nature animale. La grenouille, la tortue, l’escargot sont de petits animaux que l’on discerne à peine dans la nature, cachés sous les feuilles ou en bordure d’étangs. Là, sous la lumière blanche de la galerie, dans la nudité de l’espace, ils semblent prêts à engloutir le genre humain, lentement, en mouvement, glissant le long d’un meuble ou se déplaçant de façon saccadée sur une table basse. Ces animaux aux dimensions magistrales prennent place dans notre univers domestique. En un tour de main, Hella Jongerius nous métamorphose en Alice, dans Alice au pays des merveilles.

La réaction du regardeur est immédiate, épidermique, ce monde étrange et onirique sème le trouble. Le réalisme des animaux est scientifique, les matières employées pour ces ouvrages de haute-ébénisterie sont remarquables. Comme dans la pièce présentée à l’exposition inaugurale de la galerie Kreo rue Dauphine, en 2008, Hella Jongerius assemble le bois massif et le contreplaqué avec la résine, dans une symbiose parfaite. Sur la table Tortue, le plateau est un paysage de strates alternées plus ou moins épaisses de contreplaqué et résine, une géologie que parcourt la tortue (presque en mouvement). La table Grenouille, en bois massif, est garnie de façon presque liquide d’un enduit de résine gris, doux au toucher et froid à la fois.

Séduction-répulsion, la présentation à laquelle nous soumet Hella Jongerius est troublante, elle fait du design un exercice de transgression, qui invite tous les fantasmes et interroge les codes et les postures d’une société qui a perdu le sens inné de la nature.

Hella Jongerius
— Table Tortue, 2009. Résines de différentes couleurs. 62,8 x 112,5 cm.
— Table Grenouille, 2009. Bois de noyer et laque transparente de couleur bleue. 74 x 180 x 90 cm (table), 150 x 125 cm (grenouille).
— Portrait.
— Artificial Vase (base beige), collection « Natura design magistra », 2009. Céramique, tissus, verre soufflé, bois, résines.
— Artificial Vase (base rose), collection « Natura design magistra », 2009. Céramique, tissus, verre soufflé, bois, résines.
— Artificial Vase (base verte en verre), collection « Natura design magistra », 2009. Céramique, tissus, verre soufflé, bois, résines.

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