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Nathalie Talec

Émilie Marsaud. Pour votre exposition personnelle au Mac/Val, vous choisissez la forme rétrospective. Pourquoi ?Nathalie Talec. Franck Lamy, chargé des expositions temporaires au Mac/Val, m’a invitée à prendre la suite de Jacques Monory, Claude Lévêque, Claude Closky. J’en suis ravie. Plutôt que de présenter des pièces récentes, comme l’a fait Claude Lévêque par exemple, Franck Lamy m’a proposé de revenir sur des pièces plus anciennes sans que ce soit pour autant une monographie. Cela m’a demandé une véritable mise à distance pour faire des choix parmi les œuvres. C’est un exercice très délicat. D’autant plus que mes œuvres sont protéiformes. Il fallait que je trouve un système qui permette de mélanger les sculptures, les dessins, les vidéos à des installations in situ sans respecter forcement une chronologie.

Le choix de la chambre froide comme espace d’exposition veut répondre à cette exigence….Nathalie Talec. Effectivement. Le volume de l’espace d’exposition du Mac/Val est troublant. 1600 mètres-carré, c’est assez vertigineux. J’ai voulu une scénographie qui soit une œuvre et qui contienne toutes les autres.
J’ai pensé à une patinoire, mais j’aurais dû inventer un système très complexe pour y poser les œuvres. J’ai alors repris l’idée de mon travail intitulé Jeu de survie en chambre froide. J’ai toujours été attirée par les objets nomades, les igloos, les tentes. La chambre froide crée la fiction du froid, thème central de mon travail depuis trente ans. Et cette structure recouverte d’une couverture de survie dorée me permet de faire référence à la peinture minimale autant qu’à celle du quattrocento.

D’où vous vient la passion du froid ?
Nathalie Talec. En vérité je n’ai aucun goût pour le froid réel. Quand j’ai fait mon voyage au Pôle en 1984, j’ai eu du mal à travailler. D’ailleurs je n’aime pas trop voyager non plus. Par contre le froid est un terrain d’expérimentation passionnant qui permet de parler du monochrome blanc, de la sculpture et d’aborder l’histoire de l’art. Et puis on a tous des souvenirs liés au froid, des expériences d’enfance dont on se souvient, c’est une dimension du réel qui a quelque chose d’universel.

Vous décrivez votre art comme sentimental… Quel rapport entre le froid et le sentimental ?
Nathalie Talec. Tout ce qui m’anime c’est l’amour de l’art et l’art de l’amour. Et le givre, la buée, la neige, sont pour moi autant de métaphores possibles de l’art et de son histoire.
«Sentimental» est un terme auquel je suis arrivé après vingt-cinq ans de travail. J’y vois un art animé d’une grande tendresse. Entre 2000 et aujourd’hui j’ai réalisé beaucoup de performances qui jouaient sur la question du temps partagé. Je voulais offrir à l’autre la possibilité de se retrouver dans ce que je faisais. Le froid est un terrain qui me permet d’aborder le monde, les questions qui nous concernent tous avec une vision éclectique et ouverte.

Le flocon de neige est un objet fractal. Est-ce une donnée scientifique qui vous intéresse, que vous trouvez liée à l’art ?
Nathalie Talec. Un objet fractal se compose de plusieurs fois le même objet, cela peut ressembler à mon obsession artistique. Mais je ne suis pas spécialement intéressée par cela. D’une manière plus générale j’aime les sciences quand elles ne sont pas exactes et qu’elles autorisent une faille émotionnelle. J’ai lu beaucoup des textes d’Aristote tels que Exhalaisons (qui a donné lieu à une œuvre présentée dans l’exposition du Mac/Val), ou Les Météores. Je me suis beaucoup intéressée aussi au scientifique Johannes Kepler. J’ai particulièrement été marquée par un opuscule sur la neige qu’il a écrit ainsi que par les explorateurs polaires tels que Knud Rasmussen. Mais pour moi, la science et la philosophie ont toujours été avant tout de la poésie.

Au début de votre vie artistique vous vous déguisiez en femme exploratrice des pôles, en scientifique. Quelles symboles peut-on attacher à ces métamorphoses ?
Nathalie Talec. Je pense qu’il y a une grande proximité entre la figure de l’explorateur polaire et le personnage de l’artiste. L’un comme l’autre abordent des territoires inconnus, lancent des défis au réel. L’un comme l’autre semblent trouver une issue, une forme par un geste, un déplacement, un objet, un compte-rendu.

Les explorateurs ont souvent été des hommes…
Nathalie Talec. C’est vrai, je me réfère souvent à des hommes tels Pline, Epicure, Aristote, Kepler, Newton et mes citations concernent également des artistes masculins. Les héroïnes sont pour la plupart fictionnelles, contrairement aux héros qui, pour moi, sont des êtres vivants incarnés, qui accomplissent des actes réels.

Et la femme à tête de cerf…
Nathalie Talec. L’idée de la tête de cerf m’est venue à l’occasion d’une performance au Centre Pompidou. J’avais alors le visage nu et je me suis aperçue qui l’émotion se manifestait trop sur mon visage alors que je voulais qu’on se concentre sur ce qui je disais. J’ai décidé par la suite de me masquer. J’ai choisi la tête de cerf parce que cet animal est une figure générique de l’histoire de l’art. Je pense par exemple au cerf de Courbet. Et puis le cerf est toujours héros et victime. Il évoque aussi le merveilleux et l’enchantement. Or je veux faire un art sentimental qui réenchanter le quotidien et qui fasse aussi plaisir et sourire.

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