Non pas l’empesé velours rouge ourlé de plomb du théâtre classique, mais le petit rideau noir bon marché de salle obscure, le fin tissu Arlequin remonté comme au cirque et le pan coloré de la salle de quartier. Partout des voiles bornent le parcours et organisent la visite. L’accrochage suggère le déplacement de scène en scène, le franchissement hésitant de la coulisse à la salle.
Hors l’axe de passage, une grande structure circulaire attise la curiosité et pousse à y entrer. Sur ses parois concaves, des taches blanches sur fond noir, peut-être des silhouettes. Sur un fond orange criard cette fois, une vaste peinture murale, Publikum, montre un public au théâtre dont les traits s’effacent parfois jusqu’à devenir pareillement méconnaissables. Dans une pièce adjacente, des gilets et des cravates rigoureusement juxtaposés au sol forment un cristal de neige en textile.
Outre ces œuvres, des projections de films réalisés par l’artiste, parmi lesquels Singspiel (Jeu chanté). En un long plan-séquence noir et blanc, la caméra souligne la fluidité des espaces de la célèbre Villa Savoye de Le Corbusier.
Déambulant doucement de la salle à manger au jardin, Ulla von Brandenburg montre une grande maison vide et blanche où, dans chaque angle, quelqu’un s’absorbe dans une tâche futile, avant de quitter le champ. Comme l’indiquent la scène inaugurale du déjeuner et celle, finale, du petit théâtre musical en plein air, ces différents personnages, isolés dans leur coin, font sans doute partie d’une même famille, ou sont-ils au moins liés par l’amitié.
Mais tandis qu’ils défilent, que la caméra poursuit sa progression, et que montent les notes plaintives, aiguës et âpres de la mélodie de Laurent Montaron, chacun semble devenir fantôme, hantise silencieuse de l’ancienne maison moderne.
Goût des rideaux donc, et des traînes fantomales, des lignes incertaines — précaires informes auprès de l’abstrait —, et des reviviscences discrètes des temps modernes du passé. Ulla von Brandenburg questionne la représentation et la présence, montre les illusions, déshabille en préservant les rouages bricolés de la scénographie et de l’art.
Pourtant, l’ensemble fleure un peu trop le bon marché, comme tout cela appuie un peu trop lourd aussi sa démonstration des mystères de l’image. Ce n’est pas un fait propre aux films de cette artiste mais un dommage commun aux vidéastes, qui sont rares à avoir trouvé les formes caractéristiques à leur médium. Tant que la vidéo sollicitera si fort les conventions auprès du spectateur, elle restera dans l’ombre du cinéma et ne saura s’en défaire.
Singspiel n’est qu’un exemple de cette faiblesse requérant incessamment du spectateur qu’il fasse comme si la vidéaste avait les moyens adéquats au filmage, comme si elle disposait d’acteurs, comme si cela avait été filmé avec habileté. Il est bien regrettable que la différence entre le cinéma et la vidéo se fasse encore trop souvent eu égard au critère de qualité.
Que les vidéastes se défient de l’expression cinématographique, qu’ils s’en libèrent pour fonder la leur propre, c’est très bien, mais il serait mieux encore que cette émancipation ne paraisse pas provenir de leur manque de maîtrise du petit appareil mécanique et rebelle qu’ils tiennent entre leurs mains, et que l’on nomme une caméra.
L’exigence conventionnelle des vidéastes est souvent sans mesure avec leur propre exigence formelle, et de part et d’autre l’attente est déçue: le vidéaste parce que son auditoire préfère le cinéma, le public parce qu’il ne retrouve pas, sous la sécheresse des images vidéo, non seulement les émotions, mais leur subtilité et leur intensité.
Paradoxalement, la vidéo va trop vite. Sa profondeur tient en une idée qu’elle s’empresse de démontrer, lésant par là et l’accident et le charme. Ulla von Brandenburg investit la Villa Savoye comme elle le fait du Plateau, en décor. Toute occupée à son affaire, mue par la mise en scène et l’idée — une par pièce — elle ne s’attarde ni aux visages ni aux détails, pressée d’en venir à la scène finale, celle où le Plateau projette Singspiel justement, celle où Singspiel montre un rideau qui est tout un théâtre. Montrer, montrer, et puis se détourner — clore.
Ulla von Brandenburg
— Around, 2005. Film Super 16 transféré sur 16 mm, noir et blanc, muet. 2’45 en boucle
— Publikum, 2008. Peinture murale à l’acrylique. 10,49 x 2,80 m
— Singspiel, 2009. Films super 16 transféré sur 16mm. 14’45
— 8, 2007. Film 16 mm, noir et blanc, muet. 8’10 en boucle
— Meine Tante und David, 2008. Aquarelle sur papier de soie. 148 x 114 cm