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Nakazora, entre la terre et le ciel

PRaphaël Brunel
@12 Jan 2008

Masao Yamamoto s’inscrit dans la tradition de la photographie japonaise en entretenant un rapport privilégié avec le livre, dont il transpose, dans le cadre du Mois de la photo, les pages sur les cimaises de la Galerie Camera Obscura.

Dans les années cinquante-soixante, la photographie japonaise s’est fait connaître par la diffusion de livres de photographes tels Eikoh Hosoe ou Shomei Tomatsu. L’édition était alors le principal vecteur de diffusion et l’objet d’une appropriation singulière par les artistes, héritage d’une longue tradition nationale.
La génération suivante, à laquelle appartient Masao Yamamoto, a bénéficié, à partir de la fin des années soixante-dix, de la démocratisation et de l’institutionnalisation de la photographie. Ainsi aux possibilités offertes par la mise en page s’adjoignaient celles des cimaises des musées et des galeries. Yamamoto joue donc sur ces différentes partitions comme autant d’espaces à investir et à organiser.

Parmi les images présentées à la Galerie Camera Obscura, le visiteur trouvera une diversité de motifs qui invite à la rêverie: de nombreux nus tout aussi mystérieux que sensuels, des paysages épurés parfois réduits à une simple ligne divisant deux aplats, des fleurs, des animaux.
Ces photographies surprennent tant par l’évidente maîtrise technique de leurs tirages que par leurs apparences d’objets trouvés, clichés d’amateurs sortis d’un quelconque grenier. Ce paradoxe est d’autant plus singulier à l’heure de l’autonomisation du médium, qui consacre, dans de nombreux cas, la photographie monumentale et la forme tableau comme garants d’une valeur d’exposition.
Loin d’une réification de la photographie par le format et par un tirage précieux, Masao Yamamoto accroche des images dépourvues de marie-louise et de cadre en les collant simplement aux murs de la galerie. A la diversité des thèmes se mêlent celle des formats, puisque certaines photographies ne dépassent pas les dimensions d’un contact 24×36.
Se détournant du tableau photographique, Masao Yamamoto préfère composer une galaxie d’images. Il organise, en effet, ses photographies en les confrontant les unes aux autres, soit dans une logique de regroupement ou de coagulation, soit dans un but d’aération et de distanciation. Les interrogations qu’il nourrit sur les pages du livre sont ainsi transposées sur les murs d’exposition. Les questions de l’espace et de son agencement sont donc primordiales dans l’œuvre de Masao Yamamoto.
Le titre de l’exposition à la Galerie Camera Obscura renvoie explicitement à la notion d’espace puisque Nakazora est un terme bouddhiste qui signifie «entre terre et ciel», c’est-à-dire entre la vie et la mort, entre le rêve et la réalité.

Ce flottement entre deux mondes, entre deux temporalités offre aux visiteurs une place qui n’est plus celle de la contemplation ou de l’absorption, mais un rôle actif par les déplacements dans l’espace et les différentes échelles de lectures que proposent les installations de Masao Yamamoto. Il est en effet possible d’appréhender son œuvre soit par le détail (l’observation image par image) soit par l’ensemble (l’agencement de l’accrochage).
Si l’habitude nous pousse à regarder chaque cliché, c’est pourtant la vision d’ensemble qui l’emporte et fait œuvre, dans une logique compositionnelle proche de la géométrie abstraite. De plus, ces photographies opèrent, par leurs apparences usées et collectées, une désacralisation du tirage photographique, qui facilite leur réappropriation par le spectateur, qui découvre et tisse sa propre histoire.

Masao Yamamoto invente donc une œuvre onirique et ludique, qui révèle le pouvoir d’énonciation de la photographie tout en interrogeant l’espace d’exposition de manière singulière.

Masao Yamamoto
— Sans titre #1142, n.d. Tirage argentique sur papier.
— Sans titre #1258, n.d. Tirage argentique sur papier.
— Sans titre #1083, n.d. Tirage argentique sur papier.
— Sans titre #960, n.d. Tirage argentique sur papier.

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