Les grand-mères de Miwa Yanagi sont de vieilles dames indignes. Elles voyagent, seules (Sachiko); élégantes, elles pavanent sur leur propre tombe (Eriko), et concoctent des banquets qui se prolongent jusqu’à l’aube (Yoko & Regine), etc. Mais au-delà de ces évidentes excentricités, ce sont elles que les photographies présentent. Cette seule apparition devrait être dérangeante, alors que la vieillesse, et l’affreuse décrépitude des corps qui l’accompagne, sont d’ordinaire tenues hors des médias et des magazines sur papier glacé dont semblent ressortir ces mises en scène sophistiquées et colorées.
Mais l’incongruité de ces images procède d’autre chose encore : si les visages sont fripés, les mains flétries et tachées, les corps, eux, jouissent d’une étrange gracilité. La fragilité et l’affaissement des chairs propres au vieillissement sont à peine esquissés. Ces vieilles dames ne sont que purs fantasmes. A l’image, elles sont incarnées par les jeunes femmes à qui Miwa Yanagi a demandé de s’imaginer dans cinquante ans. A partir de leur réponse, dont un extrait accompagne chaque œuvre, l’artiste, dans la continuité de sa précédente série Elevator Girls, a produit, mixé, retouché des images pour créer ces tableaux d’apparence photographique. Mais le protocole s’est individualisé.
Délaissant le précédent point de vue froid, sur des femmes anonymes, à l’apparence et au comportement standardisés, elle propose cette fois une interprétation en images de fantasmes de femmes bien réelles, et identifiées. Ce qui explique la diversité des situations représentées.
Mais, qu’imagine-t-on de soi à soixante-dix ans quand on en a vingt ? Ainsi que le rappellent crûment ces corps de jeunes femmes, dont le vieillissement artificiel s’est concentré sur les mains et le visage, la projection dans la vieillesse, et ce qu’elle signifie de lassitude et de diminution physiques, de solitude et de morbidité, relève du déni, et, donc, de l’impossible.
Ces documents fantasmatiques nous parlent aussi d’un ailleurs, un au-delà peut-être, exclusivement féminin (ou presque). L’amour y est entre femmes (Yoko & Regine), les hommes y sont rares, dans l’ombre et en arrière-plan, ou bien figurés par le truchement de photographies pornos qui décorent l’appartement d’une mère maquerelle (Hiroko). Elle est d’ailleurs la seule qui occupe, à cet âge vénérable, une place de pouvoir, dans ce monde où « les maîtres » (les hommes) sont « les esclaves » (Hiroko).
Reste que la parfaite maîtrise de la construction, qui sature l’image de signifiants lissés et gelés, et la sophistication des moyens qu’elle suppose, dont la perfection photographique du résultat témoigne, produisent un effet déceptif : surprenantes au premier regard, les images s’épuisent vite, comme en écho à la pauvreté des fantasmes, où se révèle peut-être celle des vies vécues.
Miwa Yanagi :
— Sachiko, 2000. C-print, plexiglas, dibon. 86,7 x 120 cm.
— Hiroko, 2001. C-print, plexiglas, dibon. 120 x 144 cm.
— Eriko, 2001. C-print, plexiglas, dibon. 119 x 178 cm.
— Yoko & Regine, 2001. C-print, plexiglas, dibon. 99,5 x 119 cm.
— Miwa, 2001. C-print, plexiglas, dibon. 119 x 178 cm.
— Mika, 2001. C-print, plexiglas, dibon. 180 x 150 cm.