Natacha Nisic
Effroi
Avec « Effroi », le musée Zadkine consacre une exposition à Natacha Nisic, artiste née en 1967 qui aborde différents média, films super 8, vidéos, photographies, à travers la réalisation documentaire ou l’installation muséale.
A la suite d’un voyage à Auschwitz où elle était venue réaliser un film, La Vue de Birkenau, Natacha Nisic retourne en mars 2005 effectuer sur les lieux d’une première expérience singulière une sorte de voyage intérieur qui rejoint la mémoire universelle :
« J’ai visité pour la première fois le camp de Birkenau en 2003. J’ai réalisé les deux photographies très tôt le matin alors que j’étais pratiquement seule dans le camp. Tout était immobile et silencieux comme ce réservoir près de la plateforme de tri sur les rails, au centre du camp.
Lorsque je me suis avancée près de l’angle gauche du réservoir de béton, j’ai entendu un bruit dans l’eau, très léger. Puis il y a eu un deuxième, un troisième, puis un quatrième bruit alors que je m’approchais de chacun des angles. J’ai compris d’où il venait. Un crapaud se tenait sur l’escalier plongeant dans l’eau. Je me suis rapprochée de lui et au moment de faire une seconde photographie, un autre crapaud a surgi du fond de l’eau. Brusquement. Plus tard, je me suis demandée si les cendres des corps se trouvaient dans l’eau. ».
Extrait de la note d’intention de l’artiste, octobre 2004.
« Effroi » consiste en la présentation par Natacha Nisic de documents photographiques et filmiques. C’est en deux temps que l’artiste s’est engagée dans la réflexion sur le processus de l’image, le visible et l’invisible, le document et sa valeur de preuve.
Une image s’est d’abord imposée à elle face à l’eau stagnante d’un réservoir. Animal réel ou présence ressuscitée des cendres des corps des prisonniers ? Est venue ensuite la décision d’interroger le statut de cette image autant que la possibilité ou non d’y répondre. « Ce film est une réponse à l’acte photographique et ce qu’il a suscité, comme une inversion du processus de l’image, un travail en négatif. De la vie rendue à la surface de l’eau, rendue à la mare et à ce qu’elle contient ». Photographies et films ne vont pas l’un sans l’autre, le film fixant « la mémoire, c’est-à -dire ce qui nous échappe ».
« Effroi » se situe dans une zone qui interroge les modes de transmission de la mémoire. On se trouve là , face à l’effroi, dans l’entre-deux, dans l’incapacité d’avancer ou de reculer.
Montrer les photographies accompagnées du film questionne le statut même des images. « Comment l’invisible est rendu visible lorsque la trace photographique dépasse l’impression rétinienne. L’image se situe dans cet interstice entre ce que l’on a cru voir, et ce que l’on croit voir, dans un champ compris entre l’interprétation symbolique et le document. »
En écho, l’artiste a aussi trouvé une résonance à sa propre expérience dans certaines œuvres d’Ossip Zadkine, réalisées entre 1943 et 1944 et à travers ses témoignages de l’époque. La Prisonnière et le Phénix, « ses revenants » comme les nomme le sculpteur, révèlent la position d’un artiste en exil à New York qui crie l’enfermement des prisonniers, l’effroi du silence … Mais il s’agit aussi la renaissance, après son retour en France, dans ces images sculptées de « lendemain de désastre » : La forêt humaine (1947-48), La Ville détruite (1947-51) …
Parallèlement aux commémorations des retours des camps de déportation et de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’exposition « Effroi » de Natacha Nisic s’inscrit dans ce cadre et au-delà . S’octroyant la possibilité d’adopter un nouveau langage qui ajouterait une autre voix à celle de l’historien, l’artiste parle alors de « mémoire suggestive ». Travail en creux sur les traces et les réminiscences.
Natacha Nisic
Natacha Nisic est née en 1967 à La Tronche, France. Elle vit et travaille à Paris.