Patrick Tourneboeuf, Diana Righini, Rebecca Young, Didier Laget, Cathy Cat-Rastler, Virginie Balabaud, Katrin Guntershausen, Lieja Nurova, Leïla Garfield, Georg Klein, Kal Touré, Luigi Piacentini, Idit Adler, Jean Cresp, Laurent Montfort, Frédérique Nalbandian, Sarah Viguer, Simoné Giovetti, Jean Dobritz, Lyonel Kouro, Alain Declercq, Tristan Grugard, Maria Clark, Charlotte Raiffé, Félix Aberasturi, Cafézoïde, Macadâmes
Murs visibles, murs invisibles
Une proposition de Rebecca Young
Un mur – ou plutôt des murs – qui divisait non seulement une ville et ses habitants, mais aussi un pays entier, et même tout un continent – l’Europe – est «tombé» symboliquement et littéralement il y a vingt ans. Et, avec lui, le régime totalitaire qu’il représentait.
On l’appelait le «mur de la honte». A juste raison et à plus d’un titre: la symbolique était multiple, mythologique, idéologique, politique… Sa chute a donc été, pour toute une génération, un passage euphorique vers la liberté.
A Berlin, ou ailleurs, les murs ont dessiné et redessinent le paysage. Ils changent nos perceptions des territoires certes, mais conditionnent la façon dont on appréhende «l’autre». La muraille de Chine est la seule structure de construction humaine qui se voit depuis la lune, mais d’autres «murs» sont plus difficiles à voir… avec les yeux. Pourtant ils sont là , bien présents, serrant le cœur, blessant l’esprit. Dans une époque où les frontières économiques s’écroulent, les «fortifications» entre les riches et les pauvres semblent plus que jamais se renforcer. Tant au niveau des frontières qu’à l’intérieur même de chaque pays.
Fidèle à son esprit d’ouverture, L’Art au garage a donc voulu aujourd’hui présenter le travail d’une vingtaine d’artistes. Des œuvres relevant de disciplines très diverses (vidéo, photo, dessin, sérigraphie, installation, sculpture, site web, performance…), interrogeant explicitement ou implicitement les murs visibles ou invisibles qui nous entourent, nous cernent. Nous concernent !
Et pour que cette exposition soit bien une interrogation, que le visiteur ne soit pas simplement spectateur, mais « démolisseur » dans l’échange, le dialogue, L’Art au garage prolonge cette même thématique à travers un calendrier de projections, débats, et rencontres.
Dans ce même esprit, L’Art au garage accueillera La Librairie photographique. Elle présente, sur toute la durée de l’exposition, une sélection de livres sur le thème «Murs visibles/Murs invisibles».
Les artistes
Le mur de Berlin, même longtemps après sa chute, a donné lieu à une fascination particulière chez de nombreux artistes internationaux. La trace du mur, ou son absence mais aussi les changements que la ville et ses habitants ont vécu, le paysage, les idéologies, la manière dont la cité se réinvente. D’importants sujets de réflexion, de création, comme le montrent ici…
Patrick Tourneboeuf, photographe, Diana Righini et Rebecca Young, plasticiennes.
Didier Laget, écrivain et plasticien, a passé quatre ans à observer la destruction du Palast der Republik. Ce bâtiment abritait les cerveaux qui ont imaginé le mur de Berlin. Il a été démoli vingt ans après le mur. Pourtant plus le bâtiment semblait disparaître, plus le mur resurgissait. Sur plus de 2 000 captures d’écran qu’il a réunies, l’artiste en a choisi 800, qu’il a retravaillées pour faire Murmur de Berlin. La bande-son est créée à partir d’éléments sonores échantillonnés dans les rues de la ville, décollage à Templehof, machines de chantier, S-Bahn…
Cathy Cat-Rastler, plasticienne, propose quant à elle, par l’intermédiaire d’un objet symbolique, la Trabant, une traversée fantasmatique. Son travail interroge à la fois les frontières géographiques, idéologiques et psychologiques. Gare g’art…une voiture au Garage !
Virginie Balabaud, par ses photographies Gestation de Berlin, 1999, souligne un modèle de reconstruction architectural et humain européen. Gestation de «l’enfant idéal» dont les deux parents seraient représentés par l’Est et l’Ouest, notions cardinales encore omniprésentes d’un mur pas tout à fait déconstruit.
Katrin Guntershausen, photographe: travaille sur la reconstruction de la mémoire, qui mélange des reproductions d’archives de la Stasi, des extraits d’interviews, des photographies. L’origine de cette proposition photo est la rencontre avec «A». Vivant en ex-RDA, elle était surveillée par la Stasi. Huit ans après la chute du mur, elle se rendait à Berlin désireuse de connaître le contenu de son dossier Stasi.
Lieja Nurova pour le collectif brodeuse 19, propose Je suis ensemble, disait l’ange (Les ailes du Désir), une broderie documentaire qui témoigne d’une histoire de la douleur, d’une histoire de l’arbitraire. L’aiguille marque l’image pour en faire le dépositaire d’une mémoire collective.
La photographe, Leïla Garfield, a demandé à 45 berlinois, de naissance ou d’adoption les raisons qui, vingt ans après la chute du mur, les ont motivés à élire domicile dans la ville de Berlin. Un portrait, une photo chez eux, et un texte manuscrit nous font entrer dans le Berlin d’aujourd’hui, éclectique, étonnant et avant tout vivant. Son livre s’appelle «Warum Berlin».
Georg Klein, compositeur et «media artist», invite les citoyens européens à questionner leur propre positionnement dans la sécurisation croissante des murs frontaliers de l’Europe. Le premier «bureau» du «European Border Watch» a été inauguré en 1997, dans un mirador sur l’ancienne frontière entre Berlin Ouest et Est. A l’occasion de «Murs visibles, murs invisibles », il inaugure la version francophone de son site.
Kal Touré, (réalisateur du film Victimes de nos richesses) donne la parole à ceux qui, en quête d’une vie digne, se sont retrouvés face à la violence des murs.
Luigi Piacentini, architecte photographe, Idit Adler architecte et Jean Cresp psychologue photographe, chacun ayant vécu sur des territoires tranchés par le même mur, proposent sous la forme d’une fresque murale une création qui pose la double question de l’espace et de ses perceptions.
Laurent Montfort a fait un aller-retour par la frontière à Tijuana, des USA vers le Mexique. Quelques photos prises à la volée décrivent le quotidien violent de ces Mexicains qui rêvent de cet ailleurs si proche. Derrière le mur, le «rêve américain».
Certains artistes questionnent la permanence d’un mur et sa potentialité à se transformer à travers une recherche d’une nouvelle matière symbolique. En témoigne dans l’exposition le travail de deux plasticiennes: Frédérique Nalbandian, Sarah Viguer.
Simoné Giovetti, photographe, propose une étude photographique sur l’espace, le temps et les frontières (Palestine): «Comme dans une chambre fermée, il fait noir et la fumée pique les yeux Parfois on manque d’oxygène. La tête sous l’eau, on pourrait s’endormir pour en finir, mais on retient encore son souffle… Parfois la lumière y filtre, c’est un soleil puissant.»
Jean Dobritz a dessiné quelques murs de ce monde avec un regard satirique, plein d’humour et d’humeur. Trait TNT et rire explosif !
Lyonel Kouro, explorateur de concepts, a découvert un monde imaginaire sans gravité ou les étranges habitants naviguent sur un paysage semé de divertissements et de dangers, dont un fascinant mur de parpaings – réversible «Welcome Home Boss» est une série de photographies de domiciles de financiers et d’hommes politiques de Montréal et ses banlieues chics.
Contrairement aux riches européens qui ont la «culture du mur», les fortunes américaines se dévoilent au grand jour. Les clichés ont été pris de nuit, par le plasticien Alain Declercq, à l’aide d’un projecteur installé à l’arrière d’un pick-up pour vite shooter les images, avant que la patrouille de surveillance n’arrive.
Tristan Grugard, lui, peint avec le Monochrome Molotov, à même le mur: entre l’activisme et poésie…
Le travail de Maria Clark, performeuse et artiste visuel, concerne les problématiques du territoire, des frontières; mais aussi du corps, de la langue. L’œuvre se développe ainsi à travers les thématiques de la ligne, du mouvement (corporel et migratoire), de l’immobilité — poussée jusqu’à l’immobilisme.
Charlotte Raiffé, artiste plasticienne, capture des images lors de ses errances pédestres puis nourrit un travail d’édition, où le livre nouvelle dérive fictionnelle, permet de retracer le vacillement, l’entre deux, l’ailleurs, l’isolement… Décloisonner nos territoires en quête d’espaces sauvages, «là  où raisonne la fragilité de l’être.»
Félix Aberasturi, architecte et peintre, questionne le sujet des migrations humaines et des frontières. Lui-même issu des immigrés européens en Amérique du Sud et émigrant vers l’Europe a son tour… Dans sa peinture, les paysages deviennent des murs, et la trace d’un corps qui flotte, qui fait tache, qui n’est pas à sa place, parle de cet intrus que l’on appel immigré. La solitude, la peur et par fois la mort sont le tribut à payer pour tenter de traverser «les murs».
Le thème de cette exposition a trouvé son inspiration dans le titre d’un film réalisé par les enfants du Cafézoïde et l’atelier audiovisuel de Zalea TV, le Journal International des Quartiers. «Murs visibles et invisibles». Ce film fait partie d’un projet qui avait pour objectif de donner une autre vision des quartiers en donnant la parole à ses habitants. Chaque film était réalisé en partenariat avec d’autres structures associatives en Europe et en Amérique latine.
Enfin, pour transpercer le mur vers l’humour, voici qu’entre en scène au «Garage», Macadâmes: Compagnie de théâtre corporel hors les murs. Dans un monde d’interdits, un trottoir pour décors, Macadâmes raconte l’histoire de deux personnages en quête de leur ligne de désir.
Vernissage
Jeudi 12 novembre. 18h-22h.