eRikm
Mu
Au départ du geste, eRikm creuse, fragmente les corps du tangible et de l’intangible, touche à la fuite et risque le chaos, point-limite à partir duquel il impulse de nouvelles énergies.
Dans les mouvements d’interactions du visuel et du sonore, dessinant diverses trajectoires au sein d’un champ artistique fort de ses éclatements, la pratique d’eRikm prend part aux interférences tout en résistant aux catégories, et renouvelle ces rapports par le biais des courts-circuits.
Si «Mu» joue de résonances, celles-ci s’inscrivent à l’intérieur même du processus de création. Footage, cut-ups, frictions et relâchements… Les formes générées renvoient aux secousses agitant notre réception du monde.
Des échos post-viriliens d’une «théorie des catastrophes » plaçant nos sociétés sous le signe des dérives, aux libertés retrouvées avec la technique –constitutive de l’homme– par l’entremise du jeu, eRikm tisse la toile d’une oeuvre conçue sur le modèle du rhyzome, à la fois critique, sensible et intuitive.
Qu’elles touchent à l’objet, à l’image, à l’espace ou au son, les oeuvres issues de ces noyaux d’expériences se nouent dans l’espace d’exposition autour d’un fil tendu: une « technosphère » sans cesse muée par les «monstres» qu’elle engendre en même temps qu’ils lui échappent.
Comme une «inquiétante poussée de l’étrange» qui vient troubler une humanité surprise par cela même qu’elle crée, et qu’eRikm s’amuse à dignostiquer par l’entremise des libres associations, mêlant l’intime au populaire et le drame à la farce.
A l’inverse des logiques spectaculaires ou cataclysmiques, la pratique d’éRikm se joue alors dans les décalages et l’infiltration.
Infiltrations dans la chair des matériaux, dans l’espace de représentation,dans les schémas conscients ou inconscients de pensée et d’action médiatisées au monde. Dérapage au sein de nos schèmes de perception, et redéploiement des sens en roue libre.
Les bugs s’immiscent dans le corps des oeuvres comme les symptômes d’une humanité schizoïde, comme ce qui fait dérailler le système, comme ce qui vrille à l’intérieur du processus et stimule de nouvelles variantes.
«Mu» éclaire ainsi sur le sens d’une mutation généralisée, et propose une traversée à l’intérieur de ces« corps étrangers» et fluctuant de connexions au monde.
A l’entrée de l’exposition, l’oeuvre «Staccato» donne le la: cette sculpture faite de 888 fragments de disques de musique pour instruments à cordes, enfilés sur un câble et posés sur un miroir, scande l’espace en redessinant sur fond noir la forme d’une onde.
Comme un autel dressé au sacrifice de la «mémoire», la pièce joue des propriétés physiques et symboliques de l’objet: support d’enregistrement d’un langage à la fois universel et spécifique, icône fétichisée d’une génération «Barclay», le vinyle est aussi cette relique d’un temps passé à la casse, déchet issu de l’industrie de masse.
Les médiums utilisés par l’artiste —qu’ils touchent aux matières plastiques, aux objets mécaniques ou aux images numériques— se présentent comme les dépouilles, les mues extraites d’un environnement quotidien téléindustriel producteur de résidus, et ranimés par l’artiste dans des sphères détournées.
Plus loin, les lignes sinueuses de «SEQ-L» squatent l’espace de manière intrusive. Ingurgités et réinjectés, passés au filtre du vivant, les modules prolifèrent des étages aux sous-sols, composent la pièce à la manière d’un sample, jouant des dualités entre ondes et particules.
Mais le procédé ne se contente pas d’abstraire, il altère, jusqu’à la crise. Eclatements, points de rupture et vacillements… eRikm taille les surfaces au scalpel jusqu’aux traumas. A l’instar des «Contrôle», cette série de photographies traduisant en image des bugs d’écrans télévisuels.
Dans l’exposition, une installation articulera 4 vidéo-projections sur des pans de murs séparés: un dispositif jouant des phénomènes d’accélérations et d’anomalies jusqu’au crash.
Si l’accident induit la perte de contrôle, aujourd’hui effective malgré nos tentatives de sauvegardes, cette idée est maintenue comme un fil tendu à l’intérieur de l’exposition.
C’est l’idée de virus, paramètre latent, qui contamine de manière plus ou moins manifeste l’ensemble des oeuvres présentées: sortes de «monstres atomiques» infiltrés dans l’espace qui transmutent et se propagent jusqu’à modifier les organismes en profondeur.
Phénomène tentaculaire traité aussi avec humour, à la manière de «King Rat» où la peste informatique côtoie le canular, ou de la « Black Planet », une sculpture inspirée de l’étoile noire de Star Wars: incarnation fantasmée du danger absolu.
De ces expériences, éRikm génère des intrigues, court-circuitant aussi avec légèreté les modèles d’influence dont elles sont affectées. Dans les ponts entre cultures savantes et «sous cultures», les courants dérapent, s’interpénètrent et donne lieu à des formes hybrides et débridées, (sortes de mutants démystifiés).
Citons «Porn Noise», cette disqueuse passée à la découpe et terminée par un 45 tours rose bonbon, clin d’oeil à la musique indus. et ses agressions sonores instantanément périclitées par l’air d’une pop acidulée.
Puisées dans des réservoirs communs et mixées aux référents particuliers, les oeuvres d’eRikm trouvent de nouveaux modes d’ancrage qui révisent et se jouent des esthétiques, mettent à mal la notion aujourd’hui quasi désuète d’«original», et se font les vecteurs d’une reconversion constante des énergies, des sources, et des données.
Manips, dérèglements, régénérations: ce principe au travail impulse l’écart et dessine les contours d’une oeuvre à la fois « pleine » d’une mémoire commune et « ouverte » aux possibles, aux devenirs autres.
De la sculpture aux images, des espaces aux écrans… les oeuvres qui ponctuent l’exposition renvoient à des points d’équilibre, à des formes échappées d’un circuit de connexions en mouvance.
«Mu» offre ainsi un terrain provisoire de visibilité à cette « mémoire vive » en mutation constante, active ou en latence, mais toujours prise dans le flux de ses variations.