— Rédacteur en chef : Jean-Marc Adolphe
— Éditeur : Mouvement, Paris
— Parution : sept.-oct. 2003
— Format : 22,50 x 30 cm (inclus le supplément musiques Octopus)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 112
— Langue: français
— Prix : 6 €
Édito : L’art d’en sortir
par Jean-Marc Adolphe
Le mouvement des intermittents a ouvert en France, depuis le 26 juin dernier, une crise inédite qui a vu les milieux culturels se découvrir en état de grève. Au-delà de l’annulation des festivals les plus emblématiques de l’été, cette contestation ouverte révèle bien d’autres ruptures ; comme si les « pulsions anonymes d’une époque » parvenaient enfin à prendre corps et parole, à se rassembler dans une « fin de partie » et à refuser de continuer à jouer les faux-semblants d’un requiem des valeurs qui ont bon gré mal gré fondé, jusqu’ici, notre res publica.
Même Ernest-Antoine Seillière, le très décrié baron du patronat français, a dit un jour : « Écoutez, très honnêtement, le Medef n’est pas fier du système international. Il le vit ». Mais c’était pour ajouter, dans la foulée : « Notre force, c’est de savoir nous adapter et d’adapter la France au monde qui est » 2. Dans son allocution du 14 juillet, le Président Chirac a repris cette antienne : « la seule attitude possible, c’est le mouvement, l’ouverture d’esprit, l’adaptation au monde tel qu’il évolue ». Oui au mouvement et à l’ouverture d’esprit. Mais comment accepter de « s’adapter » à quelque chose dont on n’est pas fier ? Et quelle résignation mortifère à concevoir que ce serait « la seule attitude possible » !
Dans leurs laboratoires de recherche et de création, les artistes et ceux qui les accompagnent mettent précisément en culture une « éclosion des possibles » qui dessine les lignes de multiples tentatives. Mettre en cause un régime d’intermittence qui en préservait, fût-ce de façon précaire, le fragile écosystème (sans parler des plasticiens, auteurs, etc., qui en étaient déjà exclus), c’est délibérément asservir toute la création au dogme de la compétition généralisée, c’est accepter l’esclavage de tous à la seule course au profit immédiat de quelques-uns, c’est se résigner à la dictature virtuelle des marchés financiers pour lesquels nos vies concrètes ne sont que des « variables d’ajustement ».
C’est tout cela qui ne peut plus durer, et que l’alibi de la « consommation culturelle » et du loisir ne parvient plus à dissimuler. Certaines des formes esthétiques que nous défendons dans Mouvement, certaines des fabriques du sensible qui cherchent de nouveaux modes de production, n’ont eu de cesse ces derniers temps de questionner cette « crise de la représentation » qui émerge aujourd’hui. Cela n’est plus suffisant. À partir de l’interruption vécue cet été dans l’économie spectaculaire, il est urgent d’inventer maintenant l’art d’en sortir.
Reprenant le titre d’un ouvrage de l’anthropologue Karl Polanyi, le Medef a tenu sa récente université d’été sous l’enseigne de « la Grande Transformation ». L’organisation patronale, à partir du scénario de la « refondation sociale », semble avoir pris en otage toute la politique du gouvernement actuel. Pour autant, ce constat n’exonère pas les précédents gouvernements de gauche d’avoir eux aussi succombé à « l’adaptation au monde tel qu’il évolue ». Au-delà des clivages entre « réformisme » et « radicalité », il faut aujourd’hui commencer à mettre en œuvre, politiquement, la transformation même du politique pour résister à cette « grande transformation » qu’opère en sourdine la mondialisation suicidaire. Ce que se refuse à comprendre un ministre de la Culture visiblement privé de toute « marge de manœuvre », c’est que la question posée n’est plus seulement celle de la « sauvegarde » d’une « exception ». C’est maintenant la « règle » qui doit être changée. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Cette question de culture générale n’appelle ni repos, ni répit. C’est en y répondant que nous pourrons créer, collectivement et singulièrement, l’art d’en sortir.
(Texte publié avec l’aimable autorisation de Mouvement)
L’auteur
Jean-Marc Adolphe est rédacteur en chef de la revue Mouvement