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Mouvement n°22

Un peu de rose dans un monde de grisaille pour symboliser l’éclosion des possibles : celle des arts et des cultures soutenus par Mouvement. Dossier sur les performances, entretien avec Marie-José Modzain sur les images, articles sur Tatiana Trouvé ou Tacita Dean, et portfolio de Jean-Luc Verna nous en convainquent.

— Rédacteur en chef : Jean-Marc Adolphe
— Éditeur : Mouvement, Paris
— Parution : mai-juin 2003
— Format : 30 x 22,50 cm (inclus le supplément musiques Octopus)
— Illustrations : nombreuses, en couleurs et en noir et blanc
— Pages : 112
— Langue: français
— Prix : 6 €

Édito : Éclosion des possibles
par Jean-Marc Adolphe

Juste avant le printemps, en cette fin d’hiver-là, il pleuvait des bombes, et chaque matin le flash radio annonçait qu’il avait plu toute la nuit, et qu’à nouveau, « au moment même où je vous parle », disait la voix de la radio, une nouvelle averse de bombes se faisait entendre. Et on avait beau être loin du vacarme, on ne pouvait échapper à ce bruit de fond, dont on avait pourtant clamé, dans une multitude mondiale, qu’il ne se ferait « pas en notre nom ». Des tonnes de bombes, donc, pour établir la démocratie, disaient-ils, au mépris du droit international.
Les morts de la guerre, et ceux qui vont mourir encore, par manque d’eau, de nourriture, de médicaments ; toutes les morts dont on n’entendra même plus parler. Pour chaque bombe larguée, combien de bombes à retardement ? Mise à prix ? Des millions de dollars. Combien de fois ce qu’il faudrait investir pour fournir le monde entier en eau potable, en traitements accessibles contre le sida ? La guerre ignore ce genre d’équation. Le cynisme des puissants est, en soi, arme de destruction massive. Et les destructions les plus redoutables ne sont pas forcément celles qui se voient.

Aujourd’hui, disent-ils, la guerre est finie. Non. Elle ne fait que continuer, en sourdine. Jusqu’à la prochaine explosion. Et quels que soient nos engagements, on se sent parfois dérisoire, fatigué, découragé; mais cela n’est jamais résignation. On se met alors à puiser dans nos propres forces de coalition, qui pour n’être pas guerrières, n’en sont pas minces pour autant. Car au contraire de ceux qui prétendent incarner à eux seuls le Bien contre le Mal, à l’opposé des missionnaires de la puissance unilatérale, nous nous savons multiples, complexes, humains pour tout dire, et nous savons bien que nous devons coaliser des langues, des gestes, des signes, pour que puissent éclore des possibles.

L’art est peut-être un bien grand mot. Mais on a beau ne plus trop croire à la transcendance qui enflammait jadis les discours d’un Malraux ; la performance sans cesse recommencée de l’art reste ce qui injecte de la différence, fertilise le champ des possibles, éveille la sève dont ni les bombes, ni les dictatures, ni les intégrismes ne sont faits. Et si la création emprunte de plus en plus le langage de l’action, et la pensée qui va avec, c’est que nul « artiste » ne peut aujourd’hui se tenir indemne des bombardements et autres bruits du monde. Non plus « à l’écart », mais dans cet écart, à y chercher encore raison d’être.

(Texte publié avec l’aimable autorisation de Mouvement)

L’auteur
Jean-Marc Adolphe est rédacteur en chef de la revue Mouvement

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