Miri Segal
Mortals and Automatons
La galerie Kamel Mennour présente « Mortals and Automatons », la seconde exposition personnelle de l’israélienne Miri Segal.
Comme nombre d’artistes de la modernité, Miri Segal s’est d’abord formée hors du domaine de l’art. Son Ph. D l’a conduite aux mathématiques. Son oeuvre d’aujourd’hui en préserve les traces. La nature de l’illusion, à la fois optique et psychologique, ne cesse en effet de présider à la déconstruction et reconstruction de machineries subtiles et savantes, à même de questionner celui que Marcel Duchamp appelait « le regardeur », sur la place du sujet dans son rapport à l’oeuvre et à l’espace.
Plusieurs expositions ont permis de saisir et de faire proprement l’expérience du travail de Miri Segal. Chacune d’entre elles multipliait les situations où la vision se trouvait prise dans un vertige de significations et de dépendances, mettant en évidence l’aliénation de chacun au monde des images: une manière de rappeler, comme l’a intelligemment souligné Paul Ardenne à propos de l’artiste, que « nous avons un corps » et que la pratique de l’art est aussi là pour nous le faire comprendre.
Mais si l’art de Miri Segal, au gré de nombreuses expositions en Israël, aux Etats-Unis ou déjà chez Kamel Mennour en 2006, ne cesse de souligner que nous avons des yeux et que le visible et l’apparence sont sans nul doute ses thèmes récurrents, je veux aussi souligner que le son et la voix sont indéfectiblement des éléments constitutifs de ses multiples dispositifs. Alors que cette notion est devenue l’un des traits communs de l’art de notre temps, il est sans doute important de préciser combien elle permet de qualifier le travail de Miri Segal.
Avec elle, l’oeuvre se confronte au chaos sensoriel et mental de notre monde contemporain. Avec elle, chaque proposition est une interrogation de notre rapport à l’espace et au temps, à la fixité comme au mouvement. Si Miri Segal s’est formée aux mathématiques, elle n’en est pas moins une analyste sensible de « la perspective comme forme symbolique » d’Erwin Panofsky. Les oeuvres récentes qu’elle propose désormais tiennent à la fois de constructions savantes et précises.
Miri Segal répugne au bricolage dans son aspect pratique et symbolique. Elle préfère, formation oblige, la recherche de la précision, le point d’exactitude à partir desquels un vertige d’émotions et de significations peut nous solliciter. Le corps, notre corps, est alors le réceptacle d’expériences infinies, un jeu du sens et des sens offerts à de multiples interprétations.
Cinq pièces composent la présente exposition. Les décrire en abolirait le charme et mettrait clairement en évidence que l’expérience du texte ne saurait ici, peut-être encore plus qu’ailleurs, se substituer à celles de l’image et du son. Disons que toutes appellent cette opposition essentielle que Miri Segal entend ici faire entre « Mortels et Automates », entre le vivant et l’artefact, entre le réel et ses multiples formes de représentation. Une citation de Shakespeare sert d’exergue et de réflexion, au propre comme au figuré, pour une traversée optique et mentale de l’espace. Le langage se connecte à la science. La méditation de Shakespeare sur l’humanité trouve ici son prolongement illusoire et illusionniste.
Understanding, un deuxième dispositif récemment produit, prend encore le langage au piège de ses multiples significations. Dans l’espace virtuel qu’elle met en scène selon des processus qui ne sont pas sans rappeler l’analyse de l’espace de Manet par Richard Wolheim, Miri Segal construit son propos selon une logique foncièrement théâtrale. Jeux de miroirs inversés, arrièrescène, le processus de compréhension du monde est toujours un processus de projection. Il donne ici son titre à l’ensemble, joue de la littéralité entre la construction de l’oeuvre et son sujet propre.
Un autre dispositif joue cette fois encore de la relation hautement signifiante entre le langage et sa signification. « Understanding » et « standing » s’articulent comme deux notions et deux états distincts. Image mentale et traduction visuelle comme langage et science sont les doubles faces des processus à l’oeuvre dans l’art de Miri Segal.
Whatever you say, un perroquet filmé par Miri Segal fait le va et vient sur un perchoir et répète les paroles que le spectateur prononce dans un micro: l’image et le texte, la communication animale et le langage humain: Miri Segal aime les expérimentations technologiques. Elle les prolonge ici dans cette proposition intrigante, paradigme de la fascination mutuelle entre science et art. La dimension expérimentale, celle qui ailleurs fascine Emile Benveniste, est plus savante qu’il n’y paraît et sans doute en écho à la complexité propre aux relations singulières que le genre humain entretient avec l’un des seuls volatiles à même de répéter ce qu’il entend sans (peut-être ?) le comprendre. » (…)
On pensera que l’art de Miri Segal tient des jeux de langage et de leurs conversions en images. On pensera que ses dispositifs visuels et sonores tiennent d’une interprétation plastique de la complexité du monde et de ses processus. Mais on ne pourra en saisir la portée qu’en en faisant l’expérience concrète. À ce titre, l’extraordinaire dispositif qu’elle intitule Beam from between your eyes (2008) tient lieu de paradigme.
Condensant les différentes formes de la rhétorique spatiale, jouant de la projection optique et visuelle à la fois, elle prend appui sur la lecture d’une brève nouvelle de Robert Walser décrivant en une simple page le but éperdu d’une créature d’aller au bout du monde. De cette vision prise au piège du langage, Miri Segal fait un environnement spatial où théâtre et projection viennent se conjuguer, où distorsions et points de vue anamorphatiques nous laissent entrevoir que nous sommes tous au milieu de nulle part.
Ici, l’art de Miri Segal touche indubitablement à sa dimension proprement philosophique: c’est de notre condition et de l’inexorable « fantaisie » de tout voyageur qu’elle vient nous parler. C’est du rêve d’être dans la lumière de l’image et de la promesse de la représentation que son oeuvre témoigne: un art de la projection, cette fois encore, dans tous les sens des mots, mais une plongée au risque de ne pouvoir se fixer au coeur du monde autour duquel nous tournons et qui ne cesse en retour de tourner autour de nous. Bernard Blistène
Vernissage
Jeudi 28 mai. 19h-21h30.
Horaires
Mardi-Samedi. 11h-19h.