Lilly Lulay
Morceaux choisis
Pour la réalisation de la série Coloured Paper, l’artiste a assemblé sur un tableau d’affichage de grande dimension une multitude de morceaux de papiers vierges et usagés, colorés ou pas, aux textures et aux grammages différents. Elle a ensuite isolé certaines compositions de ce vaste ensemble en prenant des photos avec un appareil reflex numérique selon des règles inchangées à ce jour, cadrer, adopter un point de vue et choisir une focale.
Les fichiers numériques ont été développés sur papier photo contrecollé sur alu-dibond donnant à voir l’écart entre la fragilité des matériaux représentés dans l’image et la rigidité du support retenu pour donner une existence physique à l’œuvre. Autrement dit, ce qui est interrogé sous nos yeux, c’est le double statut de la photographie qui non seulement serait une trace de réel, mais y ressemblerait.
Les clichés anciens en noir et blanc issues de la série Zeitreisende (Voyageurs dans le temps) sont à l’origine des souvenirs anonymes trouvés dans des marchés aux puces ou commandés sur internet. Les silhouettes des personnages, qui occupent le plus souvent le centre des compositions, ont été découpées puis remplacées par des mosaïques de pixels colorés. Le sujet en noir et blanc, la valeur iconique de ces anciennes photographies, ce à quoi elles référaient, a donc disparu au profit d’un substrat de couleurs provenant d’images numériques.
On pourrait aussi ajouter, toujours en tenant compte de ce qui a disparu, que leur valeur de «trace» n’existe plus en tant que telle. En aménageant une place centrale à ces pixels de couleurs, Lilly Lulay sonde la manière dont le monde est aujourd’hui représenté visuellement et matériellement. Il y est question de la postproduction des photographies numériques, de leur circulation, de leur quantité et de la (dé)matérialisation des images.
Quant à l’œuvre United Colours of Venice, elle montre 36 fragments d’images disposées dans une vitrine évoquant certaines présentations muséales de collections de minéraux. Les clichés ont été pris par l’artiste lors d’un voyage dans la cité des doges avec un appareil dont les réglages automatiques n’ont pas été modifiés. Les détails ainsi découpés ne permettent plus d’identifier le contenu des images d’origines qui représentaient la ville à travers ce qu’elle a de plus pittoresque et emblématique, le vernis des pontons, la couleur du Spritz, la moisissure sur les quais, le marbre des palais, etc. United Colours of Venice creuse ailleurs la question de la représentation de la réalité par le biais de sa mise en scène.