Des personnalités de la culture vous ont récemment adressé une pétition pour que vous preniez fait et cause en faveur de l’art et de la culture menacés à l’école et ailleurs. Contrairement à elles, Monsieur le Président, je ne vous adresse pas cette lettre, parce que je doute que cela serve à grand chose. Non que, personnellement, vous ne soyez sensible aux arts — vos goûts pour les Arts premiers et les Arts orientaux sont bien connus; non que vous n’ayez pris des décisions favorables à l’art et à la culture au cours de votre carrière politique; mais parce que le gouvernement dont vous partagez les grandes orientations mène l’une des politiques depuis longtemps les plus désastreuses en matière de culture, d’art, de recherche. Sans même parler d’internet, et d’art contemporain sur internet !
Je ne vous adresse pas cette lettre, Monsieur le Président, parce que je ressens chaque jour de plus en plus fortement que nous avons franchi un seuil, que nous sommes désormais passés au-delà du plus élémentaire bon sens.
— Nous sommes au-delà du bon sens quand les chercheurs sont obligés de crier qu’un pays dont on réduit de manière drastique les efforts de recherche (et pas seulement les budgets) hypothèque gravement son avenir.
— Nous sommes au-delà du bon sens quand des enseignants et des artistes sont obligés de rappeler que les jeunes les plus démunis seront les victimes des coupes budgétaires prévues à l’encontre du plan Arts et Culture (lancé conjointement par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale en 2000).
— Nous sommes au-delà du bon sens quand la tradition démocratique de notre pays est menacée par des décisions qui vident de toute réalité la «politique de démocratisation culturelle».
— Nous sommes au-delà du bons sens quand l’abandon des exigences culturelles débouche sur un recul de la nécessaire lutte contre la violence et l’incivilité, l’illettrisme et l’échec scolaire. Ou tout simplement contre l’ennui.
Je ne vous adresse pas cette lettre, Monsieur le Président, parce que j’assiste, chez de trop nombreux responsables de l’art et de la culture, et peut-être d’ailleurs, à la propagation fulgurante d’un véritable «virus de l’impossible». Contre ce virus, les masques sont inefficaces. C’est un virus qui tétanise les volontés, brise les espoirs, casse les enthousiasmes. Qui abolit toute foi en l’avenir, et qui produit une immense vague de morosité.
Enfin, Monsieur le Président, je ne vous adresse pas cette lettre parce que je ne vois pas, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, qu’une réelle volonté s’exprime en actes, en initiatives, en exigences, et bien sûr en budgets, pour au moins maintenir le rayonnement international de la culture française (en dialogue évidemment avec les autres cultures).
En matière de culture, le gouvernement a, dès son arrivée, abandonné l’Exposition internationale «Images 2004» ; son premier anniversaire vient d’être marqué par la dispersion de l’Atelier André Breton. Un double symbole : celui d’une cécité quant au devenir du domaine culturellement et économiquement crucial (pour ne pas dire stratégique) des images ; celui d’une indifférence vis-à -vis d’une grande époque de l’art en France. Oubli du passé, incompréhension de certains des grands enjeux des temps à venir.
La grandeur de la culture française est en train de devenir un mythe. Un effet de discours. Mais dans les faits la France décline internationalement en matière de culture, et en particulier d’art contemporain.
Alors, que faire ? Je n’en sais rien. Je sais seulement qu’un immense fossé d’incompréhension, de méconnaissance, d’indifférence, voire de mépris, se creuse entre ceux qui décident et ceux qui restent persuadés qu’une culture vivante et dynamique est l’un des atouts majeurs pour l’avenir. La culture n’est pas un luxe, ni un supplément d’âme. C’est l’une des forces les plus vives pour bâtir le monde de demain.
André Rouillé
Pour lire «Arts à l’école: Lettre ouverte au Président de la République»: cliquer.
Pour lire la lettre ouverte de l’artiste Claude Lévêque au gouvernement sur l’art à l’école: cliquer.
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Photo: Kyupi Kyupi, The Vermillion Pleasure Night, 2000. Vidéo. Courtesy Palais de Tokyo.