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Monsieur

Monsieur aime provoquer. Il colle des affiches de Michaël Youn et Jérémy Chatelain de la Star Academy. Il détourne la formule Obey Giant en «Yo Be Gitan». Ses collages apportent de la dérision et du second degré dans le monde du graffiti qui en manque cruellement. Irrévérencieux et calculateur, il parvient, en se faisant détester par le milieu du «street art» et de l’art contemporain, à faire parler de lui.

Interview
Par Pierre-Évariste Douaire.

Comment passe-t-on du graffiti aux stickers?
J’ai commencé, en 1998, à faire du graffiti. En parallèle, j’ai créé un petit personnage à la tête carrée qui s’appelait Monsieur. Très vite, j’ai décliné ce logotype sur des stickers carrés. J’ai toujours pratiqué les deux activités. Pour avoir un impact plus clair, j’ai tagué Monsieur et j’ai décliné le logo en même temps.

Pourquoi faire du logotype?
Le logotype se repère plus facilement ; sa présence est plus grande que celle d’un tag. Le personnage, à l’inverse d’une simple signature, est offert à tout le monde. Ce n’est pas un cryptogramme qu’il faut déchiffrer. Son évidence est la marque de son efficacité. L’impact est immédiat, les gens peuvent se l’accaparer tout de suite. Mon personnage évolue par le graffiti et par les stickers. Ces deux activités sont distinctes et complémentaires. Grâce à elles j’arrive à faire vivre mon personnage plusieurs fois.

N’y en a-t-il pas une des deux un qui a pris le pas sur l’autre?
Yo Be Gitan me prend beaucoup de temps, et j’ai un peu délaissé le graffiti. Je pratique maintenant plus volontiers le terrain. Les rencontres sont paisibles. Cela se fait entre amis, tranquillement le dimanche aut our d’un repas. Je fais du graffiti pour moi ; un peu comme de la peinture, avec le plaisir de retrouver des amis pendant une après-midi.

Mais tu restes présent dans la rue…
Oui mais par l’intermédiaire de l’affiche.

Le sticker a été une des réponses à la vague de répression des années 2000. Le penses-tu aussi?
J’ai été un des premiers à faire du stickers à Paris, à l’époque ce n’était pas courant. C’est plus facile de mettre un sticker dans la rue qu’un tag. Je suis quelqu’un de très prudent et — même si j’aimais peindre et taguer sur les voies — j’avoue que sticker est beaucoup plus simple. Je suis moins sur mes gardes et je peux sticker sans m’en rendre compte, en marchant, en allant au travail. Pour poser le moindre tag, il faut être aux aguets, regarder autour de soi, s’assurer que la voie est dégagée. Je suis très prudent et ce type de comportement vire rapidement à l’obsession, voire à la paranoï;a. La prise de risque n’est pas la même et je peux faire ça en plein jour.

Sticker est un acte plus doux que celui de taguer.
Le geste de coller est beaucoup moins agressif que le simple geste de sortir un marqueur. L’approche n’est pas du tout la même. Au lieu de poser une signature incompréhensible avec une bombe de peinture, je colle un personnage sympathique. La réception est totalement différente. Les gens ne se sentent pas dérangés.

Contrairement au tag, le sticker est discret.
Il y a des parallèles avec le tag. Si les endroits sont différents, il suffit d’avoir un sticker sur une gouttière (ou une poubelle) pour en attirer d’autres. Cela donne des lieux de rencontre où chacun vient voir ce que font les autres.

L’idée de territoire est moins présent que dans le tag.
Ce n’est pas la même chose, mais la notion de compétition est toujours présente. Derrière, il y a toujours le challenge d’en mettre plus que le voisin, d’en mettre plus haut.

Il y a plus de second degré aussi.
Je pratique le sticker car c’est moins agressif et parce que c’est plus abordable pour les gens. Je ne colle pas uniquement pour les tagueurs ; même si l’aspect compétition reste présent et fait partie du jeu. Je donne un dessin aux gens, et ce geste n’est pas réservé seulement aux initiés du mouvement, c’est plus généreux.

Le sticker s’inscrit plus dans des notions de don, d’échange et de partage.
La notion de collection est aussi un aspect très sympa de cette pratique. La multiplication des rencontres permet d’échanger des stickers que l’on n’a pas. Cette façon de faire est vraiment issue de notre génération marquée par les vignettes Panini et les échanges de cours de récré qui en découlent.

Tu parodies aussi des logotypes existants. Pourquoi détournes-tu le célèbre «Obey» en «Yo Be Gitan»? Par humour, hommage ou ironie?
J’aime beaucoup le travail de Shepard Fairey, mais au-delà de l’intérêt que je lui porte, il y a l’envie de provoquer tous les gens du «street art». Le but de la manœuvre est d’attirer l’attention. Les réactions sont positives ou négatives, mais l’enjeu est ailleurs, ce qui compte c’est que l’on remarque ce travail. Les gens sont choqués ou amusés par ce détournement, mais ce qui est important, c’est qu’ils en parlent. Le soucis d’efficacité est ce qui prime dans ce type de détournement.

Au départ je trouvais que c’était très drôle, mais j’ai trouvé que cela dénotait un essoufflement du mouvement : il était moins imaginatif, il se parodiait lui-même.
Non, Yo Be Gitan est une farce. C’est assez jouissif que de proposer un détournement qui énerve plein de monde. L’intérêt est double car d’un côté tu agaces et de l’autre tu fais parler de toi Des amis me disent de passer à autre chose, mais pour l’instant je m’amuse bien, cela ne m’empêche pas de travailler sur des projets personnels.

Tu utilises l’image de Michaël Youn aussi.
J’aime bien déranger. Continuer à utiliser Yo Be Gitan comme un slogan participe à distiller du poil à gratter dans cet univers. Utiliser la figure de Michaël Youn permet de prendre à contre-pied les critères de l’art urbain. Ce n’est pas un personnage que l’on s’attend à voir sur les murs. Il est très connu mais surtout, il n’appartient pas au monde de la rue. En me servant de lui, je parviens à provoquer le petit milieu du «street art». C’est dans ce même soucis que j’ai utilisé l’image de Jérémy Chatelain, de la Star’ Ac. Ça a le don d’embêter les gens du graffiti, et j’adore ça.

Il y a du décallage et beaucoup de recul dans tes propos, pourtant en vous voyant dans la rue, je trouve que vous êtes estampillé graffiti.
J’ai commencé à faire des affiches avec Parapluie, mais c’est par la suite que nous avons formé les Stikopathes. Après plusieurs rencontres, nous sommes maintenant onze à faire des collages. Nous intervenons sur des lieux bien précis et on pose tous dessus pour tenter d’obtenir la meilleur efficacité.

Vous utilisez toujours des photocopies A3, c’est un peu votre marque de fabrique.
Dans le groupe, chacun a sa manière de voir, mais personnellement j’aime bien arriver sur une vitrine abandonnée et la recouvrir. Nous essayons de bien construire notre intervention, qu’elle soit le maximum propre et massive, qu’elle s’étale bien sur toute la hauteur et la longueur de l’endroit ciblé. Éparpiller son travail ne sert à rien, je préfère concentrer mes efforts sur un point précis.

Cela vous a amené, l’année dernière, à faire une exposition au Combi Bar, rue d’Oberkampf.
Ce genre de proposition permet de concilier ce que nous faisons dans la rue et sur le terrain. L’avantage est que nous ne sommes pas pris par le temps et que le résultat est impeccable. Le travail est bien fait ; il permet d’expérimenter des choses nouvelles comme de nouvelles compositions. Agir dans la rue, c’est se mesurer au chronomètre. Dans un espace autorisé, on est beaucoup plus relax.

Est-ce que tu veux envahir la ville avec tes images?
Je ne suis pas pressé par cette envie. J’ai pas envie d’envahir la ville, je veux que le travail soit vu, et surtout que le résultat soit beau. Le rêve serait d’avoir des affiches partout, mais il faut revenir à la réalité et se concentrer sur des lieux stratégiques. A la quantité, je préfère la qualité. Au lieu d’inonder Paris d’affiches, je préfère focaliser mon énergie sur des espaces que l’on recouvre totalement. La devanture de la vitrine devient un papier peint après notre passage.

Aimerais-tu te mesurer à des formats 4×3, faire des choses plus grosses?
Avec Parapluie nous l’avons déjà fait. J’ai participé aussi au projet Une nuit, qui consistait à recouvrir toutes les panneaux publicitaires du onzième arrondissement. C’est agréable de travailler sur des volumes au Ässi grand. La prise illégale d’espace est amusant, cela fait partie du jeu.

Et le site internet?
Le site consite à montrer mon travail au-delà de Paris et de l’hexagone.

C’est un site de diffusion pour les Stikopathes?
Non, chacun travaille de son côté. On se réunit seulement pour faire des choses en commun.

Quel est ton rapport à la photographie?
La photographie c’est super important. Je prends systématique des photos de ce que je fais dans la rue, comme ça j’ai au moins une trace de ce que je fais. L’aspect collectionneur reste très présent. Cela permet de garder une trace et surtout j’alimente le site internet avec.

Tes photos sont des traces ou des oeuvres?
Mes photos ne sont pas artistiques ; ce sont plus des archives. Il arrive que quelques unes soit belles, mais principalement elles viennent alimenter un fond d’archives. Quand je prend une photo, je ne cherche pas spécialement à faire quelque chose de joli. Ce qui est important, c’est de garder une trace. Après, je peux très bien prendre la photo avec un appareil jetable. Le but est de conserver une trace du travail qui a été fait et d’être vu par le plus de monde possible.

Tu ne fais pas un travail dans la rue juste pour prendre une photo?
Je ne vais pas spécialement faire un collage pour prendre une photo. Ce qui importe en premier lieu c’est de faire, ensuite prendre une photo fait partie du jeu.

Est-ce que ton travail est de l’art?
Il faut que cela soit à la fois esthétique et provoquant. Il faut qu’au final les affiches me plaisent, que ce soit simplement beau, mais aussi que cela dérange un peu le milieu du graffiti.

As-tu envie de faire des expositions?
C’est très intéressant à faire, cela donne d’autres perspectives à ton travail, mais je cours pas après, je ne cherche pas à faire partie d’un milieu, c’est le plaisir qui est le moteur de toute l’activité.

As-tu envie d’intégrer le milieu de l’art?
Non, il y a un certain décalage entre nos réalisations et les attentes des galeries. On se trouve en porte-à-faux avec tout le monde. Le monde du graffiti nous regarde bizarrement et celui de l’art nous méprise car nous n’utilisons que des petites photocopies. D’un côté, on nous reproche de n’être pas assez méchant, pas assez vandale et, de l’autre, on est trop amateur, trop approximatif.

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