qui, interrogé pour un ouvrage intitulé Les Dirigeants face au changement (éditions du Huitième Jour), affirme que «le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit».
Avant de préciser: «Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à -dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible» (rapporté par Libération, 10-11 juil. 2004).
Cela a au moins le mérite d’être clair. Et de confirmer de façon éloquente que la télévision commerciale (privée ou publique) ne présente pas des programmes entrecoupés de publicités, mais des publicités accompagnées de programmes. C’est la logique publicitaire qui prévaut, non seulement dans la grille de diffusion des émissions, mais dans leur forme même.
Cela étant désormais éloquemment affirmé par un maître de l’art, deux grandes positions s’opposent.
La position qui préconise de diffuser des fictions ou des faits réels redoublant de violence, de sensiblerie, d’émotion pour transformer, par différence, la publicité en un havre de paix, de bonheur et de fraîcheur (d’où la profusion de faits divers tous plus horribles les uns que les autres, d’émissions médicales, judiciaires, etc.). La position, défendue par Patrick Le Lay, qui veut au contraire établir une continuité entre l’émission et la publicité.
D’un côté, c’est la différence de potentiel qui favoriserait l’action de persuasion et la consommation; d’un autre côté, ce serait un conditionnement continu des sentiments et de la pensée, sans à -coups, qui placerait le cerveau dans un état de torpeur, d’acquiescement. Un état de résistance zéro pour une consommation maximale.
Monsieur Le Lay revendique et défend son entreprise de décervelage national. Ces propos ne sont pas ceux d’un militant hirsute de la liberté de pensée qui, bravant les sarcasmes et les accusations d’exagération, crierait au scandale culturel et humain ; ce sont au contraire ceux de l’acteur même de cette entreprise qui la théorise avec le calme et la tranquille assurance de sa légitimité.
C’est à la lumière de ces propos qu’il faut regarder La Ferme, les matchs de foot pour lesquels TF1 investit énormément, et toutes ces émissions interchangeables de plateau auxquelles un pauvre public est convié pour applaudir sans cesse, à tout rompre et sur commande, comme si le battement des mains était la dernière fonction qui lui restait, fonction réflexe qui, on le sait, n’est plus même commandée par le cerveau.
Les divertissements et les loisirs sont très largement considérés comme une nécessaire antidote aux aliénations à la morne quotidienneté et aux routines du travail ordinaire. Eh bien, M. Le Lay exprime avec un remarquable cynisme que les entreprises sont nombreuses, de la télévision au tourisme, à tenter de transformer de légitimes besoins en un surcroît de marchandisation des individus.
Marchandise ? Évidemment, quand M. Le Lay veut décerveler le téléspectateur, le réduire à un appareil réflexe à acheter sur commande, vendre du «temps de cerveau humain rendu disponible» à Coca-Cola.
TF1 se présente désormais ouvertement, au plus haut niveau, comme une machine commerciale et politique de contrôle de la vigilance, de l’intelligence, de la force critique, bref, de la liberté des citoyens téléspectateurs.
Marx l’avait annoncé… TF1 l’a fait !
André Rouillé.
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Gianni Motti, Shock and Awe, 2003. Vidéo. 4’38. Courtesy Cosmic galerie, Mathias Gumprich.