Présentation
André Rouillé
Mois européen de la photographie — Mutations I
Parmi les sept artistes sélectionnés pour l’exposition, «Mutations I», aucun ne représente le monde frontalement. Chacun l’approche comme s’il était désormais impossible de fonder une démarche pertinente à partir de son simple enregistrement. Comment interpréter cette rupture avec les postures photographiques traditionnelles?
Ce qui se joue à travers ces mutations de l’image photographique va bien au-delà des seuls enjeux esthétiques et formels. Les procédés de retouche numérique ou de montage, le recours aux figures stylistiques que sont la parodie ou la fiction visent à défier les limitations associées au seul enregistrement du réel afin de l’approcher d’une façon plus stratégique que frontale, plus construite que représentative. Rompant aussi bien avec la fonction de représentation traditionnellement assignée à la photographie qu’avec l’ordre établi de l’imagerie dominante, les artistes ici rassemblés inventent de nouvelles modalités du visible et du dicible. À la posture classique et franche du photographe face à son objet répondent des im-postures sophistiquées qui posent radicalement à question de notre rapport au monde.(…)
(…)Les sept artistes européens ici rassemblés attestent une nouvelle fois que les oeuvres ont cette capacité de résonner esthétiquement avec les mutations du monde. Issues de contextes différents, elles sont dotées d’une singularité irréductible. Mais elles se rapprochent par leur inscription dans le vaste réseau d’interdépendances qui fonde l’Europe. L’accélération des communications, la prolifération des échanges d’informations font vaciller les frontières, entraînant un brouillage des repères identitaires, du même et de l’autre, du proche et du lointain. S’adaptant à une réalité mouvante et hétérogène, les pratiques et territoires artistiques se décloisonnent pour constamment se redéfinir. Abandonnant leur posture traditionnelle sur le monde, les artistes endossent les rôles d’enquêteurs (Frapiccini), de saboteurs d’images (Kvetà n) d’agents de publicité (AES+F) ou d’illusionnistes (Ramette).
Ces stratégies d’infiltration et de déplacement sont autant de manières de multiplier les points de vue sur le monde et d’en souligner le caractère relatif Fonder leurs démarches sur des dynamiques plutôt que sur des esthétiques, sur des devenirs plutôt que sur des formes, sur des fictions assumées plutôt que sur des utopies de la vérité photographique, telles sont les voies que tracent aujourd’hui ces artistes mutants dans une Europe en pleine mutation.
André Rouillé