PHOTO | CRITIQUE

Mois de la Photo. Prises d’air

PFrançois Salmeron
@02 Nov 2012

Patrick Tosani poursuit ses expérimentations en plaçant au centre de ses photographies d’étranges coupes d’objets. Mais, au-delà de ce travail purement analytique interrogeant la fonction et l’identité d’objets ordinaires, ces «coupes géologiques» proposent une véritable interrogation sur la composition de l’image, sa profondeur et sa dimension.

Les derniers travaux de Patrick Tosani apparaissent comme une géologie ou une anatomie d’objets ordinaires coupés en deux et présentés sur grands tirages. Nous nous trouvons ainsi face à un ventilateur vu de profil, dont nous découvrons les circuits et les mécanismes internes. La coupe photographiée offre une vue analytique de l’objet, où celui-ci est décomposé en différentes parties: hélices, circuit électrique, pied, socle.
L’objet, seul face au spectateur, apparaît dès lors comme foncièrement étrange. Il semble amputé de toute fonctionnalité. On ne peut plus le raccorder à un système de signification qui lui prêterait un sens précis ou un usage convenu. L’objet est littéralement transfiguré dans son apparence même et, présenté seul sur un fond neutre, nous ne sommes plus en mesure de l’inscrire dans un système de référencement. L’objet demeure orphelin et défait de toute utilité.

La gourde vue de face, et également coupée en deux, procure une sensation tout aussi étrange. Comme dans la série de cuillères que Patrick Tosani avait réalisée en 1988, l’on perçoit un objet dont la surface rayée ou cabossée par endroits, témoigne de son usure, de son histoire, de son unicité. Mais percevoir une demi-gourde n’en demeure pas moins déroutant, d’autant que la prise de vue frontale qu’en effectue par Patrick Tosani la fait apparaitre comme une hallucination ou un mirage. En effet, sa présence tranche fondamentalement avec le fond noir et blanc, et l’objet semble alors comme surajouté ou apposé artificiellement sur ce fond neutre.

De même la bouteille coupée en deux, dont les deux moitiés sont juxtaposées côte-à-côte, apparaît comme une forme abstraite surgissant de nulle part. Et, là encore, l’objet perd son identité. Nous n’avons plus vraiment de repère pour le reconnaître en tant que tel et lui conférer son utilité habituelle.
Les contours de la bouteille réagissent quant à eux à la lumière et brillent d’un éclat argenté, tandis que l’intérieur incurvée de la bouteille n’offre strictement aucune profondeur. On y perçoit juste une surface opaque noirâtre ou grisâtre avec quelques taches marron. Toute profondeur se trouve donc à nouveau abolie.

Patrick Tosani effectue ainsi un remarquable travail de géologue ou d’anatomiste en nous donnant à contempler les différentes strates dont se composent ces objets extirpés de leur usage quotidien et de leur contexte de signification. Ce travail photographique se veut donc à la fois analytique et expérimental. Il donne surtout à voir et à redécouvrir des objets ordinaires qui sont manipulés, transfigurés, amputés. L’échelle monumentale pour laquelle Patrick Tosani a opté, amplifie enfin le sentiment d’étrangeté que ces objets réveillent chez le spectateur.

Pourtant, le travail de Patrick Tosani ne se résume pas à cette déconstruction des objets. Son travail s’effectue avant tout dans l’image, plutôt que dans l’objet photographié. «L’objet n’existe que dans l’image construite», suggère d’ailleurs le photographe. Car l’image relève avant tout d’un choix de cadrage et d’éclairage, notamment. Le moindre décalage de l’objectif dans la prise de vue bouleverse l’image que l’on aura de l’objet.

Et si notre attention se focalise sur ces objets rendus étranges et mis hors d’usage, il nous faut en revenir à l’image en tant que telle et à son traitement. Qu’est-ce qui s’étend visuellement devant nous? Comment est construit cet espace de visibilité? L’image est avant tout le témoignage d’une expérimentation propre au photographe: couper un objet, le présenter sur fond neutre, en gros plan et tiré en grand format, avec une précision et une rigueur remarquables. Le tout étant de construire méticuleusement un espace photographique dans lequel le réel apparaît comme bidimensionnel. Les objets ne seraient dès lors qu’un prétexte ou un moyen d’interroger l’image photographique.

Å’uvres
— Patrick Tosani, Prise d’air II, 2012. Photographie argentique contrecollée sur dibon et montée sur chassis affleurant rembordé. 195 x 154 x 4 cm
— Patrick Tosani, Prise d’air III, 2012. Photographie argentique contrecollée sur dibon et montée sur chassis affleurant rembordé. 153 x 121 x 4 cm
— Patrick Tosani, Prise d’air IV, 2012. Photographie argentique contrecollée sur dibon et montée sur chassis affleurant rembordé. 262 x 216 x 4 cm

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